Quand un spécialiste de la traduction automatique sud-coréen, CSLI, rachète un autre spécialiste français du domaine, Systran, l’histoire mérite d’être racontée.
Systran s'apprête à parler couramment le sud-coréen. Le 25 avril, la société CSLI, dont le siège social est basé à Séoul, annonçait avoir fait l'acquisition du capital détenu par les actionnaires principaux de Systran, soit un peu moins de 40 %. Depuis, CSLI a fait un premier tour d'OPA à la Bourse de Paris pour détenir 85 % du capital. Le sud-coréen effectue en ce moment même un deuxième tour (qui se termine le 29 juillet) pour en obtenir la totalité (a minima 95 %). Avant d’en arriver là, il a néanmoins fallu obtenir l’accord du gouvernement français mais aussi des américains, car Systran est un fournisseur historique des agences de renseignements outre-Atlantiques.
S-Translator, à l’origine de la fusion
Il s'agit là de la première acquisition par les Coréens du Sud d'un éditeur de logiciels français. C’est en co-produisant il y a deux ans le S-Translator pour Samsung que les deux entreprises se sont rapprochées. « CSLI est venue nous chercher, car l’entreprise avait besoin de compléter son portfolio de langues asiatiques par des paires de langues européennes », nous précise Pierre Bernassau, directeur des services clients chez Systran. Depuis, elles ne se sont plus quittées, partageant de « nombreuses affinités sur les produits et les expertises », au point de fusionner pour donner naissance à la marque Systran International, CSLI souhaitant capitaliser sur ce nom reconnu. Un quasi doublement de taille avec 160 salariés au total, dont plus de 100 dédiés à la recherche, qui travaillent de concert dans la course à l’innovation de la traduction automatisée. Un marché concurrentiel, investi par des acteurs internationaux d’envergure tels Google et Microsoft ou, moins connu du grand public mais bien implanté en entreprises (grands comptes et agences de traduction), la société anglaise SDL, principal concurrent européen de Systran. « Pour rester en première ligne, il faut beaucoup investir, beaucoup innover et cela demande de grandes équipes de développement », indique Pierre Bernassau. Qui précise la volonté du nouveau groupe « de garder les équipes, techniques et commerciales, avec une présence en Asie, en Europe mais aussi aux Etats-Unis où nous sommes présents à travers une filiale de 30 salariés ». A l’exception du PDG de Systran, Dimitri Sabatakakis, qui a souhaité prendre sa retraite, les équipes de Systran restent en place, nous assure Pierre Bernassau, avec Guillaume Naigeon en directeur général.
Retour vers le futur
Systran a une belle histoire, de 40 ans, émaillée d’événements forts. L’entreprise est d’abord américaine, fournisseur exclusif des agences d'espionnage. A cette époque, la traduction automatique se réalise sur de grands ordinateurs mainframes IBM avec des cartes perforées : « On traduisait quelques phrases courtes du russe vers l’anglais. Et par ce biais, le système Systran a été embarqué sur l’opération Appolo-Soyuz de la Nasa pour faire communiquer, par bribes bien sûr, et des phrases codées, les cosmonautes et les astronautes. », nous relate Pierre Bernassau.
Systran devient française en 1986 suite à son acquisition par un grand industriel, fabricant de robinets de pipelines, Jean Gachot. Un amoureux des langues. En 2000, Systran fait son entrée à la Bourse de Paris et, en 2009, l’entreprise lance son premier moteur hybride, avec une composante linguistique et une composante statistique, qui s’appuie sur la ressemblance des phrases traduites. Cette nouveauté technologique permet alors à Systran de gagner en qualité de traduction et de prendre des parts de marché importantes. Les produits actuels, comme S-Translator, fonctionnent toujours sur ce principe. Aujourd’hui, Systran est capable de traduire plus de 120 paires de langues, soit 40 langues différentes au final.
Parmi les chantiers actuels de l’entreprise, la traduction des textes dans les images et la traduction vocale. « Notre cœur de métier est de déployer des solutions dans les grandes entreprises, les grands comptes, pour traduire la voix, mais aussi les réseaux sociaux, les chats… », rappelle Pierre Bernassau. Systran devrait aussi sortir une nouvelle version – majeure – de son produit, avant la fin de l’année. « On y travaille depuis plusieurs années, nous sommes sur la dernière ligne droite et travaillons de façon intense avec CSLI pour finir ce grand développement ».