Jack Ma a annoncé en septembre qu’il quitterait la présidence du Conseil d’Administration d’Alibaba dans un an.
Géant du Cloud en Chine, Alibaba a encore tout à prouver en Europe. Le numéro 4 mondial veut monter en puissance à l’international et il multiplie les annonces afin de séduire de nouveaux partenaires et DSI en Europe.
Avec 47,6 % de parts de marché sur l’IaaS en Chine, Alibaba Cloud est le numéro 1 du Cloud en Chine et, d’après le cabinet Synergy, Alibaba Cloud vient de ravir à IBM la quatrième place mondiale de ce marché, derrière AWS, Microsoft et Google. Avec un chiffre d’affaires en croissance de 101 %, le Chinois a dépassé l’Américain, même si, avec 1 million de clients et 2,14 milliards de dollars de revenus pour l’année fiscale 2018, Alibaba Cloud reste encore loin des 17,46 milliards de dollars engrangés par AWS dans le même temps.
Numéro 2 sur la plaque Asie/Pacifique derrière AWS, Alibaba Cloud reste encore en retrait dans le reste du monde. En Europe, et particulièrement en France, Alibaba a commencé par approcher les cybermarchands, leur proposant d’utiliser sa plateforme de vente en ligne comme tête de pont pour aborder le marché chinois. En 2015, Sébastien Badault, ancien responsable grands comptes de Google, prenait la tête de la filiale française d’Alibaba. L’activité IT du groupe, Alibaba Cloud, a commencé à exposer sur les salons IT et à proposer ses services de manière relativement discrète avec une présence essentiellement commerciale. Ce n’est véritablement que ces derniers mois qu’Alibaba a décidé de changer de braquet, organisant en juin à la Station F de Paris son premier sommet européen afin d’expliquer sa stratégie aux DSI européens et dévoiler sa roadmap.
AWS, le modèle à suivre… et à dépasser
Difficile de ne pas comparer Alibaba Cloud avec AWS et plus généralement Alibaba à Amazon. Géant du e-commerce, l’un comme l’autre commercialisent des services Cloud mis en œuvre par leurs propres services de vente en ligne. Si AWS constitue aujourd’hui une vache à lait pour Amazon, du côté d’Alibaba Cloud, on ne cache pas vouloir s’inspirer très directement du modèle américain : « Fondamentalement, nous sommes comparables à AWS, nous sommes compatibles avec AWS » a expliqué Xuan Jin, Senior Evangelist d’Alibaba Cloud à l’international. « Nous commercialisons plus de 100 produits actuellement en Chine et nous allons ouvrir de plus en plus de produits sur les marchés internationaux.» C’est en effet une caractéristique d’Alibaba Cloud de lancer progressivement ces produits sur les autres régions. Le responsable a ainsi dévoilé une feuille de route qui prévoit des lancements échelonnés tout au long du deuxième semestre 2018. Ainsi, Alibaba Cloud avait prévu de mettre en ligne dans le courant de l’été des solutions telles que son IoT Suite, sa base de données AnalyticDB, RDS for PPAS, puis HybridDB for MySQL, la VOD, StreamCompute ou encore la reconnaissance d’images et faciale. Au dernier trimestre arriveront notamment le firewall Cloud, HBase, etc. Alibaba veut combler son retard en termes fonctionnels sur ses grands concurrents internationaux et semble s’en donner les moyens. En tout, une trentaine de services doivent être lancés sur l’Europe d’ici à la fin de l’année.
Du point de vue infrastructures, à la différence d’AWS, de Microsoft Azure ou d’IBM qui disposent de plusieurs datacenters en Europe et dans l’Hexagone, Alibaba Cloud ne peut s’appuyer que sur un seul site pour desservir le continent européen. Francfort fait partie des 18 régions desservies par Alibaba Cloud, sur un total de 45 datacenters dans le monde. L’essentiel de ses datacenters est en Chine et sur l’Asie mais Alibaba a mis en place un réseau d’interconnexion et dispose de plus de 1 200 nœuds d’interconnexion dans le monde. Plus de 200 services Cloud différents sont proposés par Alibaba Cloud sur le marché chinois, et sa marketplace, lancée l’an dernier, compte aujourd’hui plus de 4 000 applications.
Le multi-Cloud, une opportunité à saisir
Si Alibaba Cloud veut aujourd’hui accroître ses parts de marché en Europe, il veut le faire au moment où toutes les grandes entreprises ont engagé leur transformation numérique et où les projets ont été lancés, les choix de prestataires établis. Yeming Wang, directeur EMEA d’Alibaba Cloud le reconnaît, mais espère que venir de Chine sera un atout pour la firme de Jack Ma : « Nous arrivons tard sur le marché du Cloud, mais nous croyons que, en tant que Chinois, nous pouvons être vos partenaires pour aller en Chine ou en Asie, non pas seulement comme partenaire IT, mais aussi pour vous aider à aller en Chine via l’écosystème Alibaba et ses 10 millions de marchands.»
Autre axe de la campagne de séduction d’Alibaba Cloud auprès des DSI occidentaux, les accompagner dans leurs stratégies multi-Cloud. « Il y a quelques années, les entreprises parlaient d’aller ou pas vers le Cloud. Aujourd’hui, il s’agit de s’adapter au multi-Cloud, et c’est la raison pour laquelle Alibaba propose aujourd’hui différents scénarios public Cloud / hybrid Cloud, et nous fournissons un stack pour le Cloud privé.» Le stack Apsara, comparable à l’Azure Stack de Microsoft, permet de faire tourner les services Cloud d’Alibaba en mode on-premise tandis que le package Big Data Dataphin est promu par le marketing Alibaba Cloud comme une solution devant briser les silos de données dans les entreprises. A cela, Yeming Wang a souhaité souligner les contributions d’Alibaba aux écosystèmes multi-Cloud tels que Docker, Terraform, Kubernetes.
C’est toutefois sur l’intelligence artificielle qu’Alibaba Cloud cherche à se différencier d’AWS ou de Google. Yeming Wang a ainsi longuement décrit aux DSI européens “ET Brain”, la marque-ombrelle qui abrite les offres Big Data et intelligence artificielle d’Alibaba : « Cela inclut City Brain dans le domaine de la mobilité, un système déployé dans plusieurs villes en Chine, en Malaisie afin d’optimiser le trafic. En Europe, nous allons nous concentrer cette année sur les secteurs de la distribution, de la finance et de l’industrie. Bien évidemment, nous travaillons sur d’autres verticaux. Nous voulons introduire nos meilleures pratiques auprès de nos partenaires, de nos clients.» Le responsable a rappelé l’investissement colossal de 15 milliards de dollars que va consentir Alibaba sur 3 ans dans la DAMO Academy (acronyme de Discovery, Adventure, Momentum, and Outlook), centre de recherche notamment dédié à l’informatique quantique et l’intelligence artificielle.
Les premiers clients européens témoignent
Ce premier sommet européen du Chinois illustrait le véritable coup d’accélérateur donné par Alibaba dans la stratégie de développement d’Alibaba Cloud en France puisque quelques heures plus tôt Alibaba et Bolloré signaient une alliance mondiale, un partenariat portant non seulement sur la logistique, les véhicules électriques, mais aussi le Cloud, Alibaba fournissant au groupe de Vincent Bolloré ses services de Cloud, Big Data et intelligence artificielle. Parmi les premiers clients français d’Alibaba Cloud présents lors de ce sommet, Veolia, un groupe présent sur 5 continents et notamment en Chine. Jean Christophe Laissy, Global CIO et CDO de Veolia a expliqué sa stratégie, sachant que l’entreprise est déjà un client de référence pour AWS : « Nous devons utiliser le Cloud et chez Veolia nous avons fait le choix du Cloud public. Cela signifie que lorsque l’on parle multi-Cloud chez Veolia, il ne s’agit pas d’un mélange de Cloud privé et public mais un mix de Cloud public. Nous devons gérer différents fournisseurs Cloud dans différentes régions géographiques. C’est une nouvelle façon de créer de la valeur.»
Autre client venu témoigner à Station F : Ranch Computing, une “renderfarm” travaillant pour le secteur de l’animation, entreprise basée à Paris et disposant déjà de 20 000 cœurs CPU et de près d’un million de cœurs GPU. « Le Cloud nous intéresse afin de déborder lorsque la demande de puissance dépasse nos ressources internes lors de pics de charge, notamment » explique Julien de Souza, directeur de Ranch Computing. « Plusieurs fournisseurs Cloud nous ont démarchés : eux recherchent un savoir-faire dans notre domaine et nous, nous avons besoin de cette puissance de débordement. C’est avec Alibaba que nous nous sommes le mieux entendus et ils ont été les premiers à s’intéresser à notre activité.»
Une position d’outsider intéressante
D’autres entreprises françaises ont été séduites par la stratégie ET Brain d’Alibaba. C’est le cas d’Havas X, la cellule innovation du groupe Havas qui exploite les solutions IA d’Alibaba dans l’analyse des comportements clients. ET Brain intéresse aussi Qarnot, une startup qui propose de la puissance de calcul sous forme de radiateurs électriques : « Nous cherchions un partenaire Cloud pour réaliser du débordement de manière transparente puisque notre puissance de calcul varie dans le courant de l’année » explique Erik Ferrand, CSO de Qarnot. « Le Cloud nous permet aussi d’être plus agiles car le cycle de déploiement de nos ressources de calcul est directement lié à celui des projets immobiliers.» La startup compte proposer son API de calcul sur la marketplace Alibaba afin que les entreprises puissent lancer un calcul indifféremment sur le Cloud Alibaba ou sur les infrastructures Qarnot d’une seule ligne de commande. La position d’outsider d’Alibaba en France intéresse tout particulièrement Qarnot de même que son origine chinoise et son action sur les projets Smart City en Chine : « Notre positionnement sur le smart building avec les capteurs installés dans nos radiateurs nous a permis de développer une API IoT qui a trouvé écho chez Alibaba. Notre idée est de proposer notre framework IoT couplé aux modèles d’apprentissage d’ET Brain en local, au niveau des bâtiments.» Enfin, Alibaba pourrait bien constituer à terme la tête de pont de Qarnot sur un marché chinois très friand en solutions “smart cities”.
Désormais, priorité est donnée au développement du réseau de partenaires et à la formation des ingénieurs et des étudiants sur les services. Parmi les partenaires internationaux d’Alibaba Cloud figurent déjà Altran, Micropole, Ecritel, LinkbyNet et Smile. Début juillet, Alibaba Cloud annonçait la création du programme “EMEA Ecosystem Partner” afin de booster le développement de ce réseau de partenaires sur la zone Europe. Si Alibaba a raté la première vague des déploiements Cloud des entreprises occidentales, il ne compte pas manquer les prochaines révolutions IT.