Le point d'Isabelle Renard, avocat au barreau de Paris, docteur ingénieur
Dans la continuité de la dématérialisation des échanges entre professionnels et dans le secteur public, c’est au tour des entreprises de dématérialiser au maximum leurs contrats clients.
On propose maintenant aux consommateurs de souscrire directement sous forme numérique leurs contrats d’achat de biens ou de services, leurs crédits, leurs assurances, ou encore leurs abonnements avec les opérateurs télécoms ou énergie. L’opération se déroule soit en ligne, soit en magasin ou à domicile lors d’un démarchage.
L’environnement juridique et technique qui sous-tend cette vague de numérisation est en place : depuis la loi du 13 mars 2000, l’écrit numérique a la même valeur probante que l’écrit papier (à condition bien sûr de savoir garantie son intégrité au cours du temps), et il est possible de signer les contrats électroniquement ; au plan technique, plusieurs offres de signature électronique adaptées à ces nouvelles modalités de contractualisation se sont développées, et il existe de nombreuses offres d’archivage en ligne des documents numériques « à valeur probante ».
A ce jour, ces modalités n’ont pas généré un contentieux notable. Mais la nature immatérielle des contrats et de leur signature pourrait bien, demain, fournir un terreau fertile à des litiges d’autant plus redoutables que l’action de groupe leur conférera un caractère sériel.
Il faut identifier de façon lucide les véritables risques attachés à la contractualisation numérique, afin de mettre en place les processus et les outils techniques qui permettront de faire échec de façon efficace aux litiges de mauvaise foi. En un rapide tour d’horizon, ces risques prendront leur source autour des quatre déclarations suivantes des consommateurs qui seront tentés d’échapper à leurs engagements :
Ce n’est pas moi qui ai signé
Le risque est avéré en cas de contractualisation en ligne avec de purs prospects puisqu’il n’existe pas en France d’identité numérique fiable. Il n’y a pour l’instant aucune bonne solution, chaque professionnel se concoctant sa propre recette, souvent fortement épicée d’OTP/SMS, pour tenter de sécuriser l’identité du contractant. Le règlement européen sur la confiance numérique, qui est entré en vigueur cet été et sera directement applicable mi 2016, apporte sur ce sujet un éclairage intéressant, en établissant un système basé sur le risque et sur la proportionnalité des moyens à mettre en face.
Ce n’est pas sur ce contenu là que je me suis engagé
Ce point renvoie à l’intégrité du contenu contractuel. C’est sans doute le plus facile à résoudre car le support numérique, si l’on utilise les outils technologiques adéquats, offre une garantie d’intégrité bien meilleure que celle du papier. Pour autant, chaque professionnel sera bien inspiré de préconstituer un « dossier de preuve » expliquant de façon didactique aux magistrats comment le processus a été conçu et de quelle façon il assure l’intégrité du document tout au long de son cycle de vie.
En fait, je n’ai jamais signé, je n’ai pas compris du tout que je signais
La signature électronique telle qu’elle est pratiquée actuellement consiste à effectuer une action banale (au pire un clic, au mieux un OTP) qui déclenche une opération technique complexe sur une plate-forme distante, le tout après avoir fait défiler sur un écran des pages de texte au contenu parfois complexe. Cela ne ressemble que de très loin à l’acte de signer, engagement « physique » manifestant de façon non équivoque le consentement du signataire à un acte dont l’étendue est tangible.
Pour éviter que des litiges ne se développent sur le fondement de cette faiblesse du consentement, il est essentiel que les processus mis en œuvre « resacralisent » l’acte de signer électroniquement, le rendent très visible, et facilitent la compréhension du consommateur sur les éléments essentiels de son engagement.
Je n’ai jamais reçu l’information précontractuelle
Les textes imposent de fournir au consommateur sur un support dit « durable » lorsqu’il n’est pas papier, des informations « précontractuelles », dans une quantité devenue aberrante. L’incapacité du professionnel à prouver qu’il a bien transmis cette information est sanctionnée de diverses façons selon les actes en cause. Cela pose un vrai problème actuellement, en l’absence de position claire de la jurisprudence sur ce sujet : aller chercher l’information sur un espace sécurisé semble prohibé par la CJUE et la DGCCRF. Mais l’envoyer par mail est une solution à proscrire pour des raisons de sécurité, et qui de plus n’offre aucune garantie probatoire. Le sujet reste délicat, et une veille sur les premières décisions s’impose.
L’idée n’est pas de mettre au ban la souscription numérique, ce serait ignorer une tendance irréversible. Mais d’attirer l’attention des professionnels sur la nécessité de tracer et de documenter leurs processus de façon claire pour être en mesure de faire échec aux déclarations mensongères….