Pour répondre aux enjeux de la révolution numérique, la transformation agile apparaît comme la potion miracle. La métaphore du “cargo cult” nous permet de comprendre que ce n’est pas si simple : l’agilité n’est pas dans les méthodes et dans les pratiques, mais dans la culture d’entreprise.
Qu’est-ce que le cargo cult ?
Pendant la deuxième guerre mondiale, la Mélanésie a servi de base avancée aux Alliés. Les indigènes ont découvert brusquement la civilisation occidentale. Ils ont vu des bateaux et des avions arriver, regorgeant de nourriture et d’objets d’un niveau technologique bien supérieur au leur. Ils ne pouvaient pas comprendre le processus de fabrication de tels objets, ni le processus logistique nécessaire entre la demande de matériel dans une radio et l’atterrissage d’un avion qui amenait ce matériel. Les aborigènes ont donc imaginé que ces marchandises étaient des cadeaux envoyés par les dieux, pour récompenser les Occidentaux de comportements appropriés. Ils ont donc observé les Occidentaux et reproduit leurs artefacts et leurs comportements, leurs rituels. Ils ont ainsi élaboré de véritables cultes voués aux marchandises (cargo, en anglais), d’où le terme de cargo cult. Ils ont construit des avions en paille et des radios en bois, dans lesquelles ils demandaient chaque jour des marchandises. Ils ont tracé des pistes dans la terre battue. Ils avaient remarqué que les pistes des occidentaux s’éclairaient quelques instants avant qu’un avion arrive, ils allumaient donc régulièrement des feux le long de ces pistes. Bien évidemment, aucun avion n’a jamais atterri.
En 1974, Richard Feynman a utilisé pour la première fois la métaphore du cargo cult, en parlant de “cargo cult science”. Le cargo cult, c’est le fait d’imiter des comportements, sans en comprendre le fonctionnement, en espérant obtenir les mêmes résultats.
Une agilité de surface est vouée à l’échec
Revenons maintenant à notre époque de révolution numérique. Les entreprises historiques voient des startups, des licornes, se développer, réussir et les mettre en danger. Ces licornes revendiquent leur agilité comme étant un facteur de succès. C’est pourquoi de nombreuses entreprises souhaitent aujourd’hui réaliser leur transformation agile. Dans cette rencontre de deux cultures, la culture d’entreprise et la culture agile, le risque de cargo cult est grand.
Le cargo cult agile, c’est le fait d’imiter les artefacts et les rituels de l’agilité, sans en comprendre le fonctionnement, en espérant réussir sa transformation digitale. Prenons quelques exemples pour mieux comprendre.
L’artefact le plus visible de l’agilité est le post-it et le cargo cult agile le plus caricatural est : “Bien sûr qu’on est agiles, on utilise des post-it !”. On entend aussi “On est agiles, on ne fait pas de spécifications”. Le manifeste agile valorise un produit fonctionnel plutôt qu’une documentation exhaustive. Mais spécifier sous forme d’histoires utilisateurs synthétiques plutôt qu’un lourd cahier des charges n’est possible que lorsque la collaboration avec le client est permanente. Empiler quelques pratiques agiles faciles à imiter, sans comprendre comment elles interagissent de façon systémique, est aussi efficace que de construire un avion en paille : c’est du cargo cult agile.
Il en va de même pour l’utilisation superficielle de frameworks agiles (Scrum, SAFe(R) ). Sans une compréhension profonde de la méthode, les équipes tombent facilement dans l’imitation de pratiques. En plus d’être aussi inefficace qu’une radio en bois, c’est contre-productif : on ajoute des contraintes et donc du stress, sans se donner une vraie chance d’obtenir des bénéfices de la transformation.
L’autre facette du cargo cult agile consiste à habiller d’agilité les pratiques de l’entreprise, sans les faire évoluer en profondeur. Les chefs de projet sont renommés Scrum masters, sans pour autant laisser la place à l’auto-organisation. Ils planifient le contenu des itérations pour l’année à venir, ce qui plombe la capacité à s’adapter aux changements.
Lors d’une transformation agile, la culture d’entreprise est confrontée à la culture agile. Si ces deux cultures sont éloignées, le risque est de se borner à imiter les pratiques agiles, ce qui est irrémédiablement voué à l’échec sur le long terme. Une transformation agile est un projet de changement à l’échelle de l’entreprise. Il est indispensable de se faire accompagner dans ce changement, non pas sur les méthodes, mais bien sur la culture, les valeurs et la vision de l’entreprise.
Emilie Esposito, Agile leader chez Kaliop