Mobilité, analyse des données en temps réel, décloisonnement des processus, l’ERP se modifie face à la transformation numérique des entreprises. Il s’adapte et ouvre aussi les possibles.
« Quand on regarde le marché, on a l’impression qu’il n’y a plus d’innovations, que les seules préoccupations concernent l’architecture ou la façon de consommer – du Cloud, pas de Cloud, de l’hébergé, pas de l’hébergé, de l’ERP hybride, pas hybride… – et beaucoup moins les services rendus», critique Nicolas Dalbignat. « On oublie l’utilisateur », soutient le responsable des ventes New Business chez Qualiac, un éditeur français qui communique beaucoup sur ses solutions « sur-mesure » dans les domaines finances et achats.
L’ERP est un marché en croissance, en tout cas pour certains éditeurs – Qualiac lui se félicite de l’augmentation de son CA de 30 % environ sur deux ans. Et il n’est pas mort, supplanté éventuellement par le CRM, « le premier poste de dépense » pour l’entreprise « avant de gérer les ressources et la logistique » – comprenez ERP – comme l’a soutenu Alexandre Dayon, President & Chief Product Officer de Salesforce, lors de l’événement annuel parisien du 8 juin organisé par le géant mondial. Il est certain que l’ERP « à l’ancienne », rigide, peu communicant et peu évolutif ne répond plus aux besoins de l’entreprise. Toute transformation d’entreprise a un impact sur le système d’information et un ERP qui ne sait pas y répondre a peu de chance de survie. La vision historique d’un « tout ERP », une seule solution qui doit traiter tous les flux d’entreprise, semble utopique aujourd’hui. Car les entreprises sont multiples, ont des métiers différents…
L’interconnexion et l’agilité
« Les entreprises se dirigent plutôt vers plusieurs solutions qui vontcohabiter dans le SI. La technologie actuelle rend plus facile, plus sure, plus rapide l’interconnexion des systèmes qui à l’origine n’étaient pas faits pour se parler », analyse Nicolas Dalbignat. L’interopérabilité et l’agilité sont des demandes fortes chez ses clients, assure-t-il. Pour pouvoir faire communiquer l’ERP avec des modules complémentaires, tels qu’un CRM et des outils spécialisés. Mais aussi communiquer avec des référentiels tiers, pour externaliser l’administration, la mise à jour sur les partenaires dont c’est le métier. L’ERP étant toujours aligné. Quels types de référentiels ? Pour les hôpitaux, par exemple, les bases de données de Vidal ou Exhausmed portant sur des dispositifs médicaux et des médicaments. Côté outils complémentaires, Qualiac passe des partenariats avec d’autres éditeurs qui viennent enrichir l’offre existante, via des connecteurs, des web services. Dans la partie Achats par exemple, il passe des accords avec des fournisseurs dans la gestion des contrats, comme Legisway. « Le recours à des outils spécialisés complémentaires est généralement observé », analyse Patrick Rahali, senior analyst pour CXP Groupe, en parlant ici du CRM, même si « l’ERP propose certaines fonctions plus ou moins basiques de CRM qui sont fréquemment utilisées par les entreprises ».
Pour Stéphane Moreau, directeur du consulting SAP chez TVH Consulting, intégrateur proposant des solutions Microsoft et SAP et dont les clients sont des PME/ETI, si les fonctions Finances, Achats, Ventes, Stocks, Production restent toujours au cœur de l’ERP, les éditeurs « ont toujours un peu le doute » : doit-on ramener plus de CRM dans l’ERP ou laisser le CRM à part, et mieux l’intégrer, mieux l’interfacer, faciliter les interconnexions avec un outil de CRM ou au travers du développement d’applications et d’écrans dédiés vers le monde extérieur, via Azure pour Microsoft ou SCP pour SAP, sa plateforme de services cloud (PaaS) ouverte ? « Tout mettre dans un seul ERP atteint ses limites : les inconvénients dépassent les avantages. Bien entendu, les éditeurs souhaitent que cela soit dans leur propre suite logicielle : le CRM Microsoft avec l’ERP Microsoft, ou le CRM SAP avec l’ERP SAP, mais les API sont là potentiellement pour pouvoir les ouvrir ». Quoi qu’il en soit, selon Patrick Rahali, « sans le SI hybride qui gagne du terrain, l’ERP fait figure de pierre angulaire fonctionnelle en assurant à la fois la continuité de chaque processus d’un bout à l’autre de la chaîne de valeur, et en interconnectant ces mêmes processus qui traversent parfois plusieurs progiciels pour impacter toutes les fonctions concernées : le processus de vente impacte la relation client, la comptabilité, mais possiblement aussi la production, les achats, les stocks, les RH (rémunération), le support, la maintenance… Tous sont liés, associés pour assurer de façon plus ou moins fluide le traitement, la centralisation, la communication et le partage des informations. Les API et autres connecteurs prennent une place plus importante dans ce SI où l’ERP cohabite avec des progiciels spécialisés de type « best of breed » qui apportent la profondeur métier qui manque parfois à l’ERP.»
Cette interconnexion des outils, localisés pour les uns dans le Cloud, pour les autres chez un client ou un fournisseur, amène d’ailleurs un besoin de temps réel.
La souplesse de la mobilité
La souplesse au travail est un autre besoin des entreprises. L’ERP mobile joue un rôle plus fort aujourd’hui. Il permet « de constamment mettre à jour, communiquer et homogénéiser les données. De ce fait, les employés nomades peuvent immédiatement répondre à toutes demandes et donc améliorer le service clients. Pour les employés sédentaires, il permet un suivi des ressources en temps et en heure, aussi bien pour les services de supply chain et production, que commercial et marketing », relève Manon Ribes, responsable marketing de Celge, un comparateur de plus de 7 000 solutions et éditeurs de gestion d’entreprise (voir encadré). Mais « il faut offrir des solutions différentes à une même personne en fonction de l’usage qu’elle fait du SI », affirme Nicolas Dalbignat. Une même personne peut travailler sur certaines tâches en mode desktop, puis prendre sa tablette pour se rendre en comité de direction et utiliser des informations différentes de l’ERP. L’ERP mobile est loin de n’être qu’une question technique, reposant sur de l’HTML 5. En comité de direction, le dirigeant aura besoin « d‘informations agrégées » avec la possibilité d’accéder à « des informations détaillées s’il faut prendre une décision ». Le transactionnel sur desktop, la validation ou des saisies légères sur des appareils mobiles, pour résumer. Pour Stéphane Moreau, « la mobilité est aujourd’hui réelle, sans infra dédiée. Il y a une dizaine d’années, les éditeurs ont essayé de faire des API mobiles pour rendre certaines fonctions accessibles sur un téléphone portable ou une tablette, mais cela ajoutait de la complexité. Ils ont changé maintenant leur interface graphique pour reprendre des standards du marché qui peuvent être utilisés nativement quel que soit le terminal utilisé.» C’est le développement du Cloud qui « a fait naître ce nouveau besoin important de la mobilité. Les données doivent aujourd’hui être disponibles en tout temps et tout lieu non plus uniquement sur leur CRM, mais sur leur outil de gestion global », analyse Manon Ribes.
Le Cloud seule voie impossible ?
Le Cloud est un élément de la transformation digitale des entreprises. Pour autant, les entreprises l’ont-elles adopté pour leur ERP ? « Entre ce qu’on lit dans la presse et la réalité du Cloud, il y a un monde », soutient Stéphane Moreau en parlant de ses clients qui sont dans l’industrie, le négoce, avec une grosse part logistique. « Mettre une usine, un entrepôt qui tourne 24 sur24 dans le Cloud reste encore un pas à franchir ». Sur SAP, aucun de ses clients n’est dans le Cloud. Et sur Microsoft, trois ont franchi le pas. Certains périmètres fonctionnels se prêtent bien au Cloud comme la finance ou les achats. C’est bien moins évident quand on parle de gestion de production, de qualité ou d’entrepôt avancé. « Il y a la crainte de n’avoir aucune prise sur la disponibilité, les prises de décision des acteurs du Cloud. » Quand le Cloud de Microsoft, d’Amazon ou même de SAP ferment un dimanche de 14 h à 16 heures pour appliquer une migration, on ne demande pas l’avis de l’entreprise cliente, même si elle a prévu de faire un inventaire ce week-end-là. Si l’entreprise a sa propre salle machines ou fait appel à un hébergeur dédié, elle peut décaler la date de reboot, d’un simple coup de fil. « Il faut coller aux besoins du client », affirme Stéphane Moreau. « Le Cloud first, Cloud only est une bêtise, le on premise only aussi. Il faut les deux. » Patrick Rahali va dans le même sens quand il constate « qu’aller dans le Cloud veut dire la plupart du temps construire un système d’information hybride avec des applicatifs on premise dans l’entreprise et d’autres à l’extérieur ». Par exemple le CRM chez Salesforce, la production chez Infor et la finance chez SAP. Selon Craig West, vice-président Alliances et Channels de NetSuite, « l’acceptation toujours croissante du Cloud pour les applications métier critiques » entraîne une demande plus forte des ERP basés dans le Cloud. Une croissance due aussi, ajoute-t-il, aux nouvelles générations de chefs d’entreprise, et la réévaluation par les entreprises de leurs systèmes on premise.
L’analyse des données en temps réel
Selon le responsable de TVH Consulting, les éditeurs ont réussi aussi à remettre l’ERP à sa place : « Les éditeurs se sont dits qu’il y avait une mine d’or d’informations dans l’ERP, qu’aucune entreprise n’utilisait réellement à sa juste valeur. » Si SAP a pris de l’avance avec sa base de données In Memory, tout le monde à une approche plus ou moins comparable : mettre l’analyse en temps réel accessible à tous, et de manière mobile en plus.
En simplifiant le propos, les utilisateurs peuvent réaliser un tableau croisé dynamique dans la base de données de l’ERP, « croiser les informations et les analyser à la volée ». « C’est une brique qui permet la transformation digitale », assure-t-il. L’analyse des données en temps réel où que ce soit va permettre « de prendre des décisions différemment, d’analyser son business différemment et même de travailler différemment. Car l’autre axe sur lequel les éditeurs ont travaillé est le décloisonnement des processus ». L’éditeur Workday par exemple, a beaucoup travaillé sur ce point. « Grâce à l’analytique, aux KPI en temps réel, un certain nombre de métiers vont pouvoir travailler par la règle des 80-20 », explique Stéphane Moreau. Avec l’ERP, 80 % du travail est quasi automatisé, le reste, les 20 %, représentant les difficultés à traiter que l’ERP apporte sur un plateau. Grâce aux indicateurs (des couleurs, des chiffres) proposés sur la page d’accueil de l’ERP, sur SAP, Microsoft ou Sage, l’utilisateur peut voir le problème qu’il doit résoudre et se concentrer sur cela.