Après l’échec des Cloud souverains et des années d’absence des grands fournisseurs de Cloud internationaux, le marché français repart. Les Big Five s’installent enfin dans l’Hexagone tandis qu’un marché régional est en train de se structurer.
Après une période de vaches maigres, le marché des datacenters repart. C’est le constat qu’on fait les différents acteurs réunis porte de Versailles lors de la première édition du salon Data Centre World Paris 2016. Alors que l’on pouvait s’alarmer de voir les entreprises françaises opter uniquement pour des fournisseurs de solutions Cloud dont les datacenters sont essentiellement localisés en Irlande, au Benelux et en Allemagne, le marché français repart. « Du point de vue de la construction de datacenters, le marché français est dans une phase de rebond », explique Brice Fourney, directeur adjoint, Direction ingénierie, Bouygues Energies & Services. « L’année 2016 a été bonne et il y a de très bonnes perspectives pour 2017. Globalement, nous observons une restructuration du marché du point de vue de la typologie des bâtiments, la dimension des bâtiments, etc. »
Les Big Five s’intéressent enfin à la France
L’année 2016 a été émaillée par les annonces réalisées par les «Big Five» du Cloud, qui après Salesforce et IBM/Softlayer, ont enfin annoncé installer leurs serveurs en France, notamment Microsoft et Amazon Web Services. Une reconnaissance de la maturité du marché français du Cloud mais aussi une manne pour les opérateurs de «méga datacenters» tels qu’Interxion ou Equinix qui vont héberger les infrastructures de certains de ces fournisseurs de Cloud américains dans l’Hexagone. « Nous observons une demande croître positivement », souligne Fabien Gautier, directeur en charge du marketing et du développement d’Equinix France. : « A titre d’exemple, nous avons lancé en avance une nouvelle tranche de 4000 m2 nets exploitables car la demande est forte tant du fait des clients français, mais aussi du fait de clients internationaux qui viennent se positionner sur la France. Cela démontre que le marché français est porteur. » Cet intérêt porté par les américains est aussi salué par Nicolas Zerbib, directeur des ventes de Corning, un fabricant de fibre optique très présent dans les grands centres de données : « Au niveau européen, le marché français est perçu comme un marché en restructuration, avec des évolutions contradictoires. Les gros acteurs internationaux ont commencé à s’intéresser à la France, avec des effets d’annonce d’acteurs qui commencent à s’installer. Il y a un véritable intérêt de la part des Big Five, sans compter les asiatiques. »
La colocation au beau-fixe
Autre évolution du marché français, le mouvement des entreprises qui se tournent de plus en plus vers la colocation. Beaucoup d’entreprises ferment leurs petites salles informatiques dont la performance énergétique est à des années-lumière des performances offertes par les datacenters géants. « Aujourd’hui, la croissance vient clairement du secteur des entreprises », souligne Fabien Gautier, d’Equinix. « Il y a quelques années, nos clients étaient des acteurs des télécoms et de l’informatique, et il y avait encore peu d’entreprises qui nous adressaient leurs besoins en propre. Depuis maintenant 3-4 ans, nous avons de grands groupes parmi nos clients. Cela a commencé par le CAC 40, mais aujourd’hui des demandes bien plus diverses nous sont adressées. » Cette vague est notamment portée par les projets de mise en place de Cloud privé des entreprises qui vont mutualiser leurs ressources sur une infrastructure informatique basée sur des serveurs haute densité et des baies de stockage performantes, le tout opéré dans des datacenters de dernière génération. De moins en moins de DSI prennent l’option de rénover et, a fortiori, construire un datacenter en propre. De plus en plus optent soit pour le Cloud, soit une infrastructure Cloud privée, opérée dans un datacenter extérieur.
Olivier Labbé, directeur général de CAP DC, la filiale de Cap Ingélec dédiée aux études liées à la construction de datacenters, souligne cette tendance : « Sur le volet ingénierie, notre activité est tirée par les professionnels du secteur qui représentent 39 % de notre chiffre d’affaires. 23 % sont des acteurs de la colocation, 12 % des acteurs des télécoms, ce qui est assez normal dans un pays aussi mature que la France, et 4 % sont des acteurs IT. » Le spécialiste souligne aussi que, outre OVH qui bâtit ses datacenters lui-même et dont la priorité numéro 1 est maintenant la conquête du marché international, ces chiffres soulignent l’absence de GAFA français, des géants de l’Internet et des réseaux sociaux qui tireraient le marché des datacenters derrière eux. « Les milliards de dollars qui ont été dépensés en Irlande par les GAFA, on ne les voit pas encore ici », résume Olivier Labbé.
L’efficacité énergétique, moteur du renouvellement
Outre la construction de m2 supplémentaires chez les opérateurs de datacenters pour accueillir les GAFA, le marché français est essentiellement constitué de projets de rénovation et de construction d’extension à des datacenters existants, comme le souligne Brice Fourney de Bouygues Energies & Services : « Notre activité porte actuellement à 40 % sur des projets de rétrofit et à 60 % pour bâtir des extensions de datacenters existants et non pas la construction de nouveaux datacenters. » Ce spécialiste de la construction des datacenters souligne l’évolution de ce marché ces dernières années. « Il y a 5 ans, un client nous donnait 18 mois pour bâtir un nouveau datacenter, aujourd’hui c’est 6 mois. Le client impose son délai et la rapidité est un élément clé. »
C’est principalement la quête d’une meilleure efficacité énergétique qui motive aujourd’hui le lancement de ces projets de modernisation. Si la France se distingue en Europe par le faible prix de son électricité, celle-ci reste le premier poste de coût d’un datacenter. Il est de coutume de dire que le coût de l’électricité consommée par un datacenter sur sa durée de vie égale son coût de construction. La hausse du prix de l’énergie est une problématique clé pour tous les gestionnaires de datacenter. Améliorer l’efficacité énergétique est donc une priorité et les gestionnaires de datacenters cherchent à afficher le meilleur PUE possible.
« L’amélioration de la performance énergétique est telle que l’on s’engage aujourd’hui sur des PUE inférieurs à 1,3 ou 1,2. »
Brice Fourney, Bouygues Energies & Services
Le “Power Usage Effectiveness”, c’est-à-dire le rapport entre l’électricité effectivement consommée par les serveurs et la consommation totale du datacenter est devenu le maître étalon des datacenters. Il témoigne de la qualité des équipements d’alimentation électrique et système de backup ainsi que des équipements de refroidissement. « L’amélioration de la performance énergétique est telle que l’on s’engage aujourd’hui sur des PUE inférieurs à 1,3 ou 1,2 calculés selon la norme publiée cette année », explique Brice Fourney. Une course à l’innovation s’est engagée depuis quelques années pour limiter les pertes au niveau des batteries, notamment avec l’arrivée de batterie Lithium-Ion, mais aussi sur les systèmes de refroidissement voraces en énergie. Certains s’essayent au “free cooling”, d’autres dissipent l’énergie de refroidissement dans les systèmes de chauffage urbain, d’autres vont même jusqu’à mettre des serveurs dans des champignonnières pour y chercher une fraîcheur gratuite (voir encadré). Pour Olivier Labbé, les gains d’efficacité apportés par les datacenters modernes sont tels qu’ils rentabilisent à eux seuls l’investissement : « La rénovation énergétique représente une part importante de notre chiffre d’affaires. On peut très souvent autofinancer la rénovation énergétique d’un datacenter sur 2 à 3 ans pour un datacenter construit dans les années 2000. »
Vers l’émergence d’un nouveau marché en région
Historiquement, il existe depuis longtemps des grands datacenters en région, avec notamment ceux des grandes mutuelles concentrés dans la région niortaise ou encore le datacenter d’IBM à la Gaude, près de Montpellier. Néanmoins, ces dernières années ont vu la construction des grands datacenters se concentrer dans la région parisienne, et tout particulièrement au nord de Paris. Interxion dispose de 7 datacenters à Paris tandis que, fort de son rapprochement avec Telecity, son rival Equinix dispose désormais de 7 bâtiments dans 5 localités de la région parisienne afin de desservir plus de 700 clients. Selon les chiffres collectés par Nexity Conseil & Transaction, la région Ile-de-France, avec 51 datacenters et 180 000 m2 installés est l’une des 5 plus grosses concentrations de datacenters en Europe. Toujours dans la région parisienne, une autre zone attire maintenant les investisseurs : le plateau de Saclay. Détenu par Colony Capital, l’opérateur de datacenters Data4 a annoncé sa volonté d’investir 100 millions d’euros dans trois nouveaux datacenters sur le plateau de Saclay où l’opérateur dispose déjà d’un campus de 110 hectares, soit 32 500 m2 de salles IT.
Cette concentration sur la région parisienne s’explique naturellement par la concentration des sièges sociaux des entreprises françaises à Paris et à La Défense, mais beaucoup d’experts estiment que le futur ne sera pas forcement peuplé que de datacenters géants situés aux grands points d’interconnexion réseau. On assiste à l’essor d’un écosystème de datacenters régionaux à l’image de la stratégie de TDF qui, après le passage à la TNT, transforme ses locaux techniques en datacenters. Le premier ProxiCenter TDF a été inauguré à Bordeaux Bouliac en 2013 et depuis sont venus s’ajouter ceux d’Aix-Marseille, de Lille Lambersart et de Rennes-Cesson. « Il y a beaucoup de développements en régions et cette maille régionale porte, selon moi, les prémices de ce que seront les pico-datacenters du futur », estime Olivier Labbé. « Ceux-ci vont desservir des besoins informatiques locaux qui vont nécessiter à la fois des gros datacenters nationaux ou internationaux et des petits datacenters locaux. Je pense que ce mouvement en région ne fera que s’amplifier. »
Les datacenters construits en régions sont de tailles plus modestes. Les ProxiCenter de TDF font entre 300 et 700 m2, le nouveau datacenter Neoclyde de Euclyde Data Centers et Neo-Telecoms offre 300 m2 de salles IT à Besançon. Outre les mégacentres de données, on parle maintenant de microcentres et même de picocentres, des centres de données miniatures composés d’un container pouvant fonctionner de manière autonome. Les experts estiment que l’essor de l’internet des objets, avec des milliards d’objets qui vont communiquer des informations en continu va imposer une nouvelle approche. Des picocentres, situés au plus près des objets communicants, vont pouvoir assurer la collecte des données et un premier traitement local avant de transmettre les informations à un microcentre régional ou vers le mégacentre où la donnée pourra être stockée et traitée. Plusieurs fournisseurs de datacenters proposent déjà des datacenters en container destinés à être installés sur les sites industriels, dans les villes, c’est-à-dire au plus près des objets connectés.
Un vrai enjeu économique pour la France
L’enjeu de la localisation de ces datacenters est majeur pour la souveraineté des infrastructures des entreprises mais il l’est aussi au niveau de l’emploi. Car même si le fonctionnement de ces datacenters est extrêmement automatisé, selon Nexity Conseil & Transaction, l’installation des datacenters aurait engendré la création de 12 000 emplois nets en 2014. Outre la capacité à conserver en France des ressources d’hébergement informatique, un secteur du datacenter dynamique peut aussi laisser espérer gagner des parts de marché, notamment en Afrique comme l’espère Olivier Labbé : « La France a un rôle à jouer, notamment vis-à-vis du marché africain. Marseille et la Sicile sont les deux spots bien placés pour desservir l’Afrique. Si la France regarde vers le sud, elle y verra des opportunités. » Une analyse partagée par Fabrice Coquio, président d’Interxion France qui a récemment signé un partenariat avec DataXion, un opérateur de datacenters tunisien avec qui il propose des offres d’hébergement complémentaires en France et en Tunisie. Interxion va notamment lier son tout nouveau datacenter MRS1 installé à Marseille avec le datacenter de DataXion en Tunisie afin de proposer des services de “dual sites” et assurer ainsi une continuité et une reprise d’activité par dessus la Méditerranée aux clients des partenaires. Un moyen de prendre pied en Afrique pour Interxion France.
Le futur du datacenter
Les datacenters représentent 2% de la consommation électrique française, soit l’équivalent d’une tranche nucléaire. Une consommation électrique qui ne cesse de croître en dépit d’équipements de plus en plus efficaces mais les volumes de données et les besoins de traitements ne cessent de croître. Avec les approches traditionnelles, les constructeurs de datacenters obtiennent un PUE de 1,3 / 1,4 avec des équipements modernes. Pour aller au-delà, il faut innover et opter pour des approches différentes. C’est notamment le cas de Celeste qui mise sur le “free cooling”, une approche suffisante pour refroidir un datacenter à Marne-la-Vallée sans climatisation 80% des jours de l’année. Aujourd’hui, Celeste teste un prototype de datacenter souterrain qui utilise l’inertie thermique des galeries d’une carrière de tuffeau. Dans ces anciennes champignonnières situées 30 m sous terre, le datacenter DeepData bénéficie d’une température stable de 11° toute l’année. Celui-ci met en œuvre les modules étanches DC Star qui délivrent une puissance de 20 KW de puissance informatique l’unité. Selon ses concepteurs, le PUE mesuré de cet étonnant datacenter serait de 1,10, une valeur extrêmement basse que Nicolas Aubé, le PDG de Celeste explique simplement : « il y a très peu de pertes liées au refroidissement lui-même, puisqu’il s’agit uniquement des pompes qui font circuler l’eau de refroidissement dans les galeries ».