Indissociable des projets de transformation numérique, le cadre légal n’est pas seulement contraignant. Il participe aussi à l’élan de modernisation qui doit toucher toutes les organisations. Fiche de paye, facture, copie numérique, signature électronique, marchés publics, recommandé électronique, Solutions Numériques passe en revue les récents décrets et lois qui entendent favoriser la dématérialisation, et se penche sur leurs applications pratiques dans la gouvernance des entreprises.
L’Union Européenne incite depuis quelques années ses états membres à consommer moins de papier et à emprunter la voie du numérique. Les pays concernés ne présentent cependant pas le même engagement. Précurseurs, nos voisins nordiques font la course en tête, ceux situés plus au Sud sont encore à la traîne. La France, après avoir rattrapé son retard, se situe aujourd’hui dans une moyenne plutôt haute, et ambitionne de progresser encore si l’on considère la volonté affichée des pouvoirs publics. Mais dans l’Hexagone ou ailleurs, gouvernements et entreprises n’ont pas toujours les mêmes visées. Les gouvernements cherchent à maintenir un contrôle à la fois sur la vie des citoyens (éducation, santé, rapport avec les administrations, gestion des données, etc.) et sur la fiscalité des entreprises, alors que ces mêmes entreprises sont en quête de tout ce qui peut optimiser leur rentabilité, leur performance et leur croissance. C’est le parallèle classique qui s’opère entre la réglementation et la régulation. La première sert tout simplement à fixer des règles. La seconde, plus complexe, participe d’un processus qui permet de stabiliser une économie, notamment en assurant liberté et concurrence. Ainsi le numérique sert-il des stratégies politiques et des exigences économiques parfois divergentes, tout en favorisant le développement de capacités d’innovation pour l’entrepreneuriat privé comme pour le service public. Axe d’articulation de la transformation digitale, la dématérialisation a connu en 2016 une actualité juridique riche. Citons pêle-mêle la loi Macron (la dématérialisation des factures), la loi El Khomri (le bulletin de paye électronique), le règlement européen eIDAS (la confiance numérique) ou encore la réforme du Code Civil (la copie numérique fidèle). Ces législations ont un impact organisationnel sur des métiers en mutation, mais les contraintes qu’elles impliquent sont à transformer en opportunités, estiment bien des professionnels. Voici un tour d’horizon des principaux secteurs dans lesquels l’État joue sur les leviers législatifs.
1 – La facture, un socle pour l’État, un tremplin pour les entreprises
L’ordonnance du 26 juin 2014 impose à toutes les structures publiques d’émettre et de réceptionner des factures dématérialisées. L’État, les établissements publics et les collectivités territoriales sont concernés, soit près de 78 000 entités, mais aussi plus d’un million de fournisseurs et de sous-traitants. L’obligation de facturation électronique s’applique aux contrats en cours d’exécution ou conclus postérieurement au 1er janvier 2017 pour les grandes entreprises. Le calendrier s’étale au 1er janvier 2018 pour les ETI, au 1er janvier 2019 pour les PME et au 1er janvier 2020 pour les microentreprises. Pour accompagner ces obligations, la plateforme Chorus, créée en 2012 dans le cadre de la loi de modernisation de l’économie (LME), a évolué pour devenir Chorus Pro, épine dorsale du SIFE (Système d’Information Comptable et Financier de l’État). « L’administration a créé là une dynamique qui incite à la dématérialisation, et elle le fait de manière assez intelligente à travers le portail Chorus. La première motivation c’est l’économie générée tant sur l’impression et l’envoi du papier que sur la ressaisie des données dans le système d’information. Autre avantage, le partage de la donnée, qui facilite le dialogue entre payeurs et fournisseurs, notamment en cas de litige et permet ainsi de gagner en productivité. En outre, l’administration ne peut plus refuser aujourd’hui l’image numérisée d’une facture », constate Charles du Boullay, président de CDC Arkhinéo. En imposant à ses partenaires une migration des processus basés sur le papier vers le numérique, le gouvernement espère aussi convaincre l’immense majorité des entreprises avec lesquelles il ne travaille pas de franchir le cap.
« L’accélération de la dématérialisation passe aussi par l’allègement des procédures. »
Charles du Boullay, CDC Arkhinéo
Obligation d’émettre pour le public, et de recevoir pour le privé
Pour le secteur privé, la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite loi Macron, prévoit dans ses articles 220 et 222 de rendre obligatoire d’ici 2020 l’acceptation des factures émises sous forme dématérialisée. « Cette obligation sera progressive selon la taille des entreprises, afin d’éviter d’instaurer un système à deux vitesses, qui pourrait s’avérer pénalisant pour certaines d’entre elles. Convaincues ou non, les entreprises doivent dans tous les cas se préparer à la généralisation de la facture électronique dans les relations qu’elles entretiennent entre elles. Autant donc prévoir dès aujourd’hui pour les entreprises une dématérialisation complète des factures, à destination de leurs clients publics comme privés », souligne Bernard Remacle, directeur du centre d’excellence e-invoicing de Basware. Pour passer à la facture électronique, plusieurs possibilités s’offrent aux entreprises : l’échange de données informatisées (EDI fiscal), le PDF assorti d’une signature électronique ou « toute solution technique (…) dès lors que des contrôles documentés et permanents sont mis en place par l’entreprise et permettent d’établir une piste d’audit fiable entre la facture émise ou reçue », rappelle l’article 289 du Code général des impôts. Associée à ce que l’on nomme le PDF simple, la piste d’audit fiable est une retranscription de la directive européenne 2010/45/UE dans la loi française. « L’EDI est aujourd’hui peu utilisé, et, alors que nous avons peu de recul sur la piste d’audit fiable, le choix de beaucoup d’entreprises se fait en faveur du PDF signé, un moyen peu onéreux et relativement simple à mettre en œuvre. Le débat juridique porte encore sur la définition de la piste d’audit fiable, mais la direction vers une simplification des règles est claire. En attendant, l’envoi d’une facture au format PDF simple accompagnée de données XLM ou UBL permet de supprimer l’incertitude quant à la piste d’audit fiable et aux erreurs de saisie, c’est un exemple de valeur ajoutée que l’on peut associer à la facture. Enfin, la possibilité de numériser les factures papier et de les archiver électroniquement est une disposition effective de la loi Macron qui met fin à un archaïsme obligeant à conserver du papier », indique Emmanuel Olivier, directeur général d’Esker. EDI, fichiers signés et piste d’audit ne sont que des moyens mis à disposition pour répondre aux exigences de conformité fiscale. L’externalisation des traitements est aujourd’hui plébiscitée par les entreprises, avec des plateformes qui acceptent tout type de format de données pour les transformer en fichiers conformes. En outre, à l’heure où ces processus sont maîtrisés et sécurisés, une baisse des prix due à la percée des solutions SaaS facilite la concrétisation des projets.
2 – La fiabilité des copies numériques pour se passer des originaux papier
Le décret 2016-1673 relatif à la présomption de fiabilité des copies a été adopté en décembre 2016. Suite de la réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, il se révèle particulièrement important pour les entreprises qui conservent à la fois les copies et les originaux : avant l’application de ce décret, un document original devait toujours pouvoir être produit et exigé. Désormais l’article 1379 du nouveau texte précise que « la copie fiable a la même force probante que l’original. La fiabilité est laissée à l’appréciation du juge. Néanmoins, est réputée fiable la copie exécutoire ou authentique d’un écrit authentique. Est présumée fiable jusqu’à preuve du contraire toute copie résultant d’une reproduction à l’identique de la forme et du contenu de l’acte, et dont l’intégrité est garantie dans le temps par un procédé conforme à des conditions fixées par décret en Conseil d’État. Si l’original subsiste, sa présentation peut toujours être exigée ».
Mettre de la modernité dans le code Napoléon
Autrement dit, toutes les copies considérées comme fiables ont la même valeur à vocation probatoire que l’original, les critères de fiabilité étant laissés à l’appréciation du juge. « Ce décret précise les spécifications à mettre en œuvre pour que la copie numérique soit présumée fiable et permette de supprimer l’original papier si possible. Il reste évidemment le “jusqu’à preuve du contraire” à traiter mais les exigences sont bien là : documentation du contexte de la numérisation, documentation des tests et contrôles effectués, empreinte électronique, horodatage et cachet électronique ou signature électronique, conditions de conservation de type SAE ou coffre-fort numérique, documentation des migrations opérées (en cas de changement de format, il y a génération d’une nouvelle empreinte). A noter que toutes les documentations sont à conserver aussi longtemps que les fichiers numériques sont conservés », explique Pierre Fuzeau, président du Groupe Serda et de la commission nationale de normalisation CN46.
« La possibilité de ne plus être obligé de conserver un document dans sa version papier originale en le remplaçant par une copie numérique fiable est une révolution. »
Pierre Fuzeau, Groupe Serda
« En fin de compte, avec ce décret, la numérisation des documents et contrats originaux sur support papier devrait être facilitée et sécurisée. De surcroît, la destruction des originaux papier est implicitement visée dans le rapport au Président de la république qui accompagnait le texte de l’ordonnance (JO du 11 février 2016) et ce, même s’il n’y a pas de renvoi vers une norme de référence. Pour apporter les garanties juridiques et techniques nécessaires à cette finalité, on recommandera l’écriture d’une procédure de destruction ainsi que le respect du projet de norme Z 42026 (en cours d’enquête publique). L’article 1379 et son décret d’application insufflent un peu plus de modernité dans le code Napoléon », estime pour sa part Eric A. Caprioli, Avocat.
3 – Le bulletin de paie électronique, fer de lance numérique des ressources humaines
La dématérialisation des bulletins de paie suit une évolution au long cours. La loi n°2009-526 du 12 mai 2009 autorisait déjà la remise d’un bulletin sous forme électronique à condition pour l’employeur d’obtenir l’accord exprès du salarié et garantir l’intégrité des données, en conformité avec l’ancien article L3243-2 du Code du travail alors en vigueur. Mais, « depuis le 1er janvier 2017, les règles applicables à la dématérialisation du bulletin de paie ont été modifiées. La loi n°2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, dite loi El Khomri, a modifié l’article L3243-2 du Code du travail. Ce texte dispose désormais que “Sauf opposition du salarié, l’employeur peut procéder à la remise du bulletin de paie sous forme électronique, dans des conditions de nature à garantir l’intégrité, la disponibilité pendant une durée fixée par décret et la confidentialité des données ainsi que leur accessibilité dans le cadre du service associé au compte mentionné au 2° du II de l’article L. 5151-6. (…)”. Il convient de souligner que la remise du bulletin de paie sous format électronique n’est plus subordonnée au consentement du salarié. Les salariés devront être informés de leur droit d’opposition un mois avant la première émission du bulletin de paie au format électronique ou au moment de l’embauche », précise Garance Mathias, Avocat. L’employeur devra en outre garantir l’intégrité des bulletins de paie et celle des données qu’il contient. Ces avancées devraient permettre au marché français de rattraper son retard, car malgré des études qui pointent un changement d’attitude, les RH restent encore le parent pauvre de la démat. Avant de songer à optimiser la vie de leurs collaborateurs, les patrons cherchent, en effet, à digitaliser en priorité les processus métiers et commerciaux. Pourtant les atouts ne manquent pas. « Côté employeur, les avantages d’un tel dispositif sont multiples et permettent d’initier ou compléter la politique de dématérialisation. Les entreprises peuvent réduire significativement leurs coûts sur le long terme, simplifier le travail de leurs équipes RH, moderniser leurs processus de gestion et mettre en avant leur capacité à se transformer en s’appuyant sur des outils et une démarche agile et durable. Pour les salariés, le passage au bulletin de paie électronique est également une réelle opportunité. Il y a d’abord la grande simplicité de gestion et d’accès aux archives. Ces dernières sont disponibles à tout moment au sein de coffres numériques sécurisés. Cela contribue également à éviter la perte ou la destruction accidentelle des documents. Enfin, les salariés peuvent utiliser plus largement leurs coffres-forts pour sauvegarder durablement leurs documents à valeur ajoutée. La digitalisation des bulletins de paie est donc un bon moyen d’étendre l’usage du numérique à d’autres domaines », estime Ludovic Partyka, président de Primobox. Du côté du secteur public, les bulletins de paie des fonctionnaires ont également vocation à être progressivement dématérialisés. Ils doivent être mis à leur disposition dans un « espace numérique propre » créé et administré par la Direction générale des finances publiques. Chaque ministère devrait préciser par arrêté, au plus tard le 1er janvier 2020, les modalités de mise en place de cette dématérialisation et la date à laquelle le bulletin de paie papier cessera d’être émis.
Des défis technologiques
En cas de recours à un prestataire, mieux vaut s’assurer de la solidité et la pérennité de ses activités et de ses infrastructures car la disponibilité des bulletins de paie doit être assurée soit pendant 50 ans, soit jusqu’aux 75 ans du salarié (article D3243-8 du Code du travail). Mais cette durée est loin de faire l’unanimité chez les professionnels. Pierre Patuel, cofondateur de DPii Télécom, dénonce un manque de concertation avec les acteurs du marché : « qui peut aujourd’hui garantir un archivage 50 ans ? L’entreprise qui embauche ? Mais comment pourrait-elle le faire sur ses propres installations quand elle ne connaît pas sa propre espérance de vie ? Parmi les offres des tiers archiveurs lesquelles aujourd’hui proposent un archivage 50 ans avec la garantie que sa société dépendant d’un grand groupe ou non sera encore existante ? Qui peut sérieusement garantir une stabilité financière, technique ou un format de lecture de fichier utilisable dans 50 ans ? Il y a 50 ans, les formats et les supports dont nous parlons en ce moment n’existaient pas ! Comme avec toutes les lois et décrets qui sont réalisés dans l’urgence de l’adaptation au marché sans concertation avec les acteurs, l’urgence est d’attendre, afin d’éviter de se retrouver hors la loi simplement en effectuant son travail ».
« La signature électronique dite ”qualifiée“ n’est plus soumise à certification, on parle désormais de cachet électronique qualifié ou non. »
Pierre Patuel, DPII
Pour d’autres, une voie médiane pourrait être trouvée dans la Blockchain, qui permet déjà de se passer de tiers de confiance et pourrait alors s’appliquer à la sécurisation des fiches de salaire. « Grâce à la Blockchain, les fiches de paie feraient partie d’un grand registre décentralisé et infalsifiable. Plutôt que de se positionner comme tiers de confiance universel, l’Etat aurait intérêt à favoriser l’émergence de solutions décentralisées que les entreprises choisiraient librement. Pour se prémunir de l’obsolescence des technologies, il faut multiplier les supports et rester ouverts aux futures innovations : compte personnel d’activité pour se renseigner, papier avec sceau de certification du contenu informationnel pour stocker, Blockchain et/ou solution auto-authentifiante pour certifier… Et il y en aura encore bien d’autres dans les années à venir », illustre Christian Guichard, président d’Authentication Industries.
4 – La signature électronique se ménage une uniformisation européenne
Depuis son entrée en vigueur au mois de juillet 2016, le règlement eIDAS permet de tirer parti d’un espace unique et sécurisé pour la plupart des transactions électroniques en Europe. De nouvelles règles du jeu ont été définies, notamment pour déterminer le niveau de sécurité requis pour activer une signature électronique à distance. Les entreprises des pays membres peuvent, par exemple, répondre à des appels d’offre sans avoir besoin de posséder des certificats locaux. « Ce nouveau règlement introduit la notion de personne morale et non plus seulement physique, ce qui implique que les entreprises, institutions, associations et autres, pourrons signer électroniquement. Le règlement eIDAS a véritablement pour objectif d’instaurer un réel climat de confiance dans l’environnement en ligne et fournir un socle commun pour les interactions électroniques sécurisées entre citoyens. De fait, ce règlement pose les fondations d’une Europe numérique, avec une libre circulation des flux sur la toile et la facilitation des échanges commerciaux et des démarches administratives dans toute l’Union », souligne Thomas Kaeb, Senior Sales Manager Business Solutions chez Wacom.
« Ce règlement pose les fondations d’une Europe numérique, avec une libre circulation des flux . »
Thomas Kaeb, Wacom
En outre, instances et acteurs travaillent sur le volet ergonomique des solutions de signature dans le but de rendre l’expérience utilisateur plus simple, plus fluide et adaptée aux situations de mobilité. L’enjeu est de trouver un meilleur équilibre entre sécurité et usage et de ne pas renouveler l’échec de la première directive européenne dont la complexité n’a pas réussi à faire décoller le marché en 1999. Si ce n’est une plus grande ouverture à l’Europe, eIDAS ne bouleverse en rien les modalités de la signature en France. Du côté des formats de fichiers d’échange, aucun changement particulier n’est non plus à attendre sur le plan législatif. La loi ne s’attache pas en effet à la technologie mais à la preuve, elle reconnait le caractère probant du numérique dès lors que les données sont cadrées par un référentiel normé, par exemple un système d’archivage électronique (SAE).
5 – La LRE ou la traçabilité des envois numériques renforcée
Légitimée par un décret de 2011, la lettre recommandée électronique n’a jamais connu le succès. Désormais consolidée par un texte unique, son usage pourrait enfin se généraliser. « L’article 93 de la Loi sur la République numérique du 7 octobre 2016 (Loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique) consacre une nouvelle formule de l’envoi recommandé électronique. Un nouvel instrument est né. Désormais, la LRE est unifiée ; elle est régie par un seul texte : l’article L. 100 du Code des Postes et des Communications électroniques (CPCE). Elle abroge l’article 1127-5 du Code civil et s’applique à la conclusion et l’exécution du contrat, ainsi qu’à tous les usages, et ce y compris les notifications dans les relations administratives (modification du code des relations entre le public et l’administration) », indique l’Avocat Eric A. Caprioli. Concrètement, les entreprises destinataires de recommandés électroniques ne peuvent aujourd’hui refuser ceux-ci dès lors qu’ils disposent d’une adresse email publique. Mais les particuliers ne sont pas soumis à une telle obligation. A l’heure où les conditions sont techniquement réunies pour un emploi massif de la LRE, cette double approche peut sembler paradoxale : « au-delà des évolutions réglementaires, le législateur devra chercher à éviter une transition numérique à deux vitesses, accélérée pour les entreprises, presque facultative pour les particuliers. Le risque, bien réel, n’est pas tant de créer un fossé entre les générations. Cette numérisation à deux vitesses expose les entreprises à un important retard de compétitivité, en les obligeant à maintenir des procédures papier plus coûteuses là où leurs concurrents européens sont déjà passés au 100% numérique », souligne Valérie Bastide du Mail Quality Club.
6 – Les marchés publics attendent un coup d’accélérateur
Entrée en vigueur au 1er avril 2016, la réforme du droit de la commande publique vise l’objectif d’une dématérialisation complète des procédures de marchés publics et de déploiement d’une approche d’open data sur les données des marchés publics et contrats de concessions d’ici le 1er octobre 2018 au plus tard. Le programme se veut ambitieux alors qu’en France comme dans le restant de l’Europe, la dématérialisation des achats publics n’a progressé qu’à un rythme très modéré depuis quinze ans : moins de 5 % des marchés seraient pour l’heure dématérialisés au-delà du stade de la publicité, selon le ministère de l’Economie. Les nouvelles directives prévoient des échéances, des obligations et des moyens pour la passation des marchés publics de plus de 20 000 euros hors taxes. « La dématérialisation deviendra une obligation, notamment en France, qui a décidé de ne pas s’arrêter aux seuils européens et de la généraliser. L’échéance d’octobre 2018 doit se préparer dès maintenant et pas à pas, sachant que la dématérialisation prend des formes variées selon que l’on parle de préparation de l’achat, de procédure de passation, de procédure de contrôle, de suivi et d’exécution, de paiement ou d’archivage », indique la direction des affaires juridiques du ministère de l’Economie. Le plan du gouvernement veut reposer sur la simplicité, la lisibilité et l’exemplarité, et comporte une dizaine de mesures allant de la réception et du traitement des pièces des dossiers à leur archivage. « Cette obligation donne un coup d’accélérateur mécanique : si une entreprise ne répond pas à un marché public sous forme dématérialisée, la collectivité concernée refusera purement et simplement sa réponse. Dans tous les cas, les gains de productivité sont évidents lorsqu’on considère la masse de papier imprimée par les entreprise candidates, alors qu’une seule sera retenue », souligne Charles du Boullay.
« L’Etat doit faciliter la spirale vertueuse du numérique et non brider la compétitivité. »
Un collectif de spécialistes, chefs d’entreprise et économistes, parmi lesquels Jean-David Chamboredon, coprésident de France Digitale, Nicolas d’Auddifret, cofondateur d’A Little Market, ou encore Vincent Lorphelin, fondateur de Venture Patents et coprésident du think tank l’Iconomie donnent leur vision dans le journal Le Monde.
« La révolution numérique favorise le travail d’initiative, qui nécessite des compétences de créativité, autonomie, agilité, discernement, convivialité, qualités relationnelles et contributives. Ces ressources humaines, au plein sens du terme, enrichissent la production automatisée. La part des services dans les produits devenant prépondérante sans retour à l’artisanat, transforme le modèle de “l’industrie et services induits” en modèle de “l’industrie servicielle”. On peut donc voir les plateformes numériques comme la métamorphose des usines. Moteurs de cette transformation et sources de toutes les peurs, elles représentent, selon l’Agenda européen pour l’économie collaborative publié par la Commission européenne, des perspectives d’embauche massive. On peut voir les data comme la matière première et les outils numériques comme les machines de ces usines. Ils “augmentent” les ressources humaines, les savoir-faire, l’intelligence collective et relationnelle à la faveur de la compétitivité par la qualité. Dans ce contexte, quel est le rôle de chacun ? Celui des grandes entreprises est de se numériser, tout comme elles s’étaient mécanisées il y a un siècle. Celui de l’industrie est d’intégrer davantage de services dans ses produits. Celui des startups est d’inventer les usages de ces nouvelles ressources. Celui des professionnels est d’apprendre à utiliser ces nouveaux outils. L’Etat, quant à lui, doit faciliter cette spirale vertueuse. Mais pour ne pas nuire à cette spirale en sortant de son rôle, l’Etat doit préférer la clarification des règles existantes à la réglementation additionnelle, la définition de seuils à l’interdiction, la notation au contrôle administratif, le soutien de l’écosystème entrepreneurial à l’identification des pépites, et l’enrichissement des services publics à leur simple mise en ligne. L’expérience des révolutions industrielles montre que cette dynamique conduit invariablement à la croissance et à l’emploi, tandis que la volonté de les contrôler ou les administrer se solde toujours par de lourds retards de compétitivité ».