SAP peut-il facturer les clients pour les usages et accès indirects de ses systèmes par le biais d’applications de tiers telles que Salesforce ? A la suite d’un jugement rendu par la cour royale de justice, un juge britannique a condamné le groupe agro-alimentaire Diageo au bénéfice de SAP.
Client de la firme de Walldorf depuis 2004, Diageo a lancé en 2012 deux projets “relation clients”, bâtis sur Salesforce, et connectés à SAP via une infrastructure d’échange disposant d’une licence légitime pour accéder aux données. SAP a estimé que cette licence était insuffisante et a assigné son client en justice, exigeant que tous les utilisateurs qui accèdent aux données SAP via l’infrastructure d’échange s’acquittent d’un droit d’usage. Dès lors la facture SAP de Diageo s’en trouverait multipliée environ par deux. SAP réclame ainsi en reprenant l’historique 64 millions d’euros à Diageo, montant que doit encore confirmer la justice britannique. En France, l’USF, l’association des utilisateurs SAP francophones, s’en est inquiétée la première publiquement. « Notre sentiment est que la victoire de SAP est une victoire à la Pyrrhus. Cette affaire donne un signal négatif : elle risque de faire fuir certains prospects et clients de SAP, car elle constitue une épée de Damoclès pour les utilisateurs » commentait début mars Claude Molly-Mitton, président de l’USF. « L’USF a été, il y a déjà plusieurs années, l’un des tous premiers clubs utilisateurs SAP dans le monde à tirer le signal d’alarme sur les accès indirects. Cette problématique devient très concrète, en étant portée pour la première fois devant les tribunaux. Même si le contexte contractuel est ici à la fois assez ancien et manifestement spécifique, cette affaire risque de soulever davantage de doutes auprès des clients qui croient avoir réglé un prix définitif pour leurs actifs SAP. »
Apporter des vérités simples
En octobre 2016, Claude Molly-Mitton annonçait la création d’un groupe de travail commun USF-Cigref, auquel SAP participe, pour travailler sur des « zones de progrès » à propos des « tensions commerciales dénoncées depuis plusieurs mois par l’USF sur des sujets comme les audits de licences ». Son enquête TNS-Sofres biennale sur la satisfaction des clients SAP montre en effet que l’audit et la politique de licences de SAP génèrent toujours autant de mécontentement que dans l’étude menée en 2014, avec 90 % d’insatisfaits sur la clarté du descriptif des accès indirects. A son tour, le Cigref, présidé depuis octobre 2016 par Bernard Duverneuil, le DSI d’Essilor International, monte au créneau.
Henri d’Agrain, le nouveau Délégué Général depuis janvier 2017, soutient : « Les données confiées aux systèmes SAP n’appartiennent pas à SAP mais aux entreprises, et ce qu’elles en font une fois que ces données en ont été extraites ne regarde qu’elles. » Le Cigref qui mène d’habitude des actions plutôt discrètes, souhaite lui aussi alerter SAP. « A partir du moment où cela concerne nombre de nos adhérents et que le débat a été rendu public, le Cigref souhaite apporter quelques vérités simples, avec calme et détermination, Et appeler SAP à revenir à des pratiques qui soient raisonnables, saines et éliminer ce flou sur ses pratiques commerciales et contractuelles ». Et de relever que « les clients de SAP ne sont pas dupes de la situation et n’entendent pas faire les frais de la concurrence exacerbée entre cet éditeur et Salesforce. » Claude Molly-Mitton partage la même idée sur ce point, indiquant : « Au-delà du sujet prégnant des accès indirects, au cœur de la plainte déposée par SAP UK contre son client, c’est aussi, à n’en pas douter, un message clair que l’éditeur a voulu envoyer à Salesforce, concurrent majeur de SAP s’il en est. »
Pour conclure, le Cigref note le développement de solutions en open source qui « offrent, dès aujourd’hui, des alternatives permettant de s’affranchir du modèle de licensing imposé par SAP ». SAP est prévenu : « plusieurs adhérents du Cigref ont d’ores et déjà engagé des réflexions dans ce sens ».
Le Cigref et l’USF ne sont pas seuls. EuroCIO, l’association européenne des CIO qui regroupe 1000 organisations et représente 700 000 salariés IT, partage une position similaire. Et le SUGEN (SAP User Group Executive Network), réseau international des 20 plus importants clubs d’utilisateurs SAP au monde (sauf DSAG) travaille pour adresser ce problème au plus haut niveau avec SAP.