Tous soumis au droit américain ? C’est le thème central de ce 5ème livre de l’avocat Olivier Iteanu, un essai intitulé « quand le digital défie l’Etat de droit », édité par Eyrolles.
La technologie, les usages, l’économie se transforment mais l’auteur nous rappelle que cela concerne aussi le droit. Le droit européen est-il en train de se transformer en droit américain ? Un essai accessible à tous, rempli d’exemples et d’illustrations, et très troublant. Olivier Itéanu répond à nos questions.
INTERVIEW d’OLIVIER ITEANU: “vous contestez la légalité des contrats de Google, Facebook et autres éditeurs américains”?
-Vous prétendez que le droit européen s’éclipse au profit du droit américain par l’action intentionnelle des groupes de la Silicon Valley, avez-vous des exemples concrets de ce phénomène ?
-Olivier Itéanu : Il est sous vos yeux tous les jours. Lisez les Conditions Générales d’Utilisation (CGU) des Facebook, Google et autres en français. Si vous avez de la patience et du courage, vous lirez en fin de document que ce contrat est soumis au droit de la Californie et au juge californien. Je présente dans le livre une journée ordinaire d’une jeune européenne que j’ai prénommée Alice. Du lever, où elle prend connaissance de son programme de la journée sur Google Agendas, en passant par les news sur Twitter, Facebook, Linkedin et autres, jusqu’à sa série préférée sur Netflix avant de dormir le soir, pas un de ces services n’affiche de manière claire et explicite, le droit français. La majorité des services désigne la Californie. Il faut se rappeler que pour utiliser chacun de ces services, mêmes gratuits, l’utilisateur a conclu en ligne un contrat avec chacune de ces sociétés.
Les abus de Facebook
-Vous contestez-vous la légalité de certains de ces contrats, en particulier la clause du contrat Facebook soumettant le contrat au juge et à la loi californienne?
-O.I. Vis-à-vis du consommateur français, cette clause n’est certainement pas légale. La Cour d’appel de Pau en 2012 puis celle de Paris en 2016, ont rappelé à Facebook que cette clause était abusive. En attendant, rien ne change. Pourquoi ? Parce que Facebook joue la montre et tente ainsi de décourager toute contestation en Europe. Dans la dernière affaire traitée à Paris, le membre français de Facebook avait vu son compte fermé parce qu’il avait reproduit le tableau de Gustave Courbet « l’origine du monde » où on voit un sexe de femme. Dans la culture américaine, la nudité est choquante … Mais nous sommes en France ! Et bien, il aura fallu 5 ans devant la justice française à ce membre éconduit de Facebook, pour simplement obtenir que la clause qui désigne la loi et le juge de Californie dont Facebook réclamait l’application, soit écartée. Et le procès continue …
-Vous allez plus loin, en prétendant que nos concepts fondamentaux tels que notamment la liberté d’expression et la vie privée deviennent américains ?
“Aux Etats-Unis, le concept de privacy ne permettrait pas le retrait du contenu attentatoire à la vie privée.”
O.I. Oui, on peut dire pour l’instant qu’il y a un glissement clair. Pour prendre vos deux exemples, le ‘freedom of speech’ et la ‘privacy’ sont bien la traduction en anglais des mots français liberté d’expression et vie privée. Mais la ressemblance s’arrête là. Les contenus sont très différents. L’exemple vu ci-avant sur le membre Facebook et le tableau de Gustave Courbet le montre. La nudité pour les adultes n’est pas interdite en Europe, elle est choquante aux Etats-Unis. Les problèmes de la vie privée des européens s’expliquent aussi par cette transformation en cours. On le comprend quand on voit le peu d’actions des grandes plateformes, YouTube, Facebook, Twitter et autres, à agir quand la vie privée d’un européen est violée et qu’on les approche pour tenter de faire cesser cette violation. Aux Etats-Unis, le concept de privacy ne permettrait pas le retrait du contenu attentatoire à la vie privée.
-Quel est alors votre diagnostic pour l’avenir ?
-O.I. Le numérique nous apporte des services formidables, la possibilité d’échanger avec le monde. Et ce que nous vivons n’est rien au regard de ce qui nous arrive avec l’internet des objets, les robots. Mais il faut résoudre ce problème de droit maintenant. Car, arrivera un moment, où les européens n’accepteront pas d’être la colonie numérique des Etats-Unis.
Quand le digital défie l’Etat de droit , Eyrolles, 188 pages, 12,9€