Par Bertrand Boisseau, Responsable du secteur automobile chez Canonical
Chaque nouvelle voiture en circulation contient des centaines de millions de lignes de code*, et c’est une bonne chose, car les fonctions qu’elles permettent d’exécuter augmentent la valeur du véhicule. Pendant plus d’un siècle, les utilisateurs ont choisi une voiture pour sa couleur, son intérieur en cuir et la vitesse à laquelle elle pouvait rouler. Mais aujourd’hui, la valeur réelle et perçue d’un véhicule est influencée par ses spécificités technologiques. Que ce soit l’autonomie d’un véhicule électrique, ses capacités de conduite autonome ou encore d’autres services connectés sont ce qui fait la valeur de la voiture.
Pour les constructeurs automobiles (OEMs) et leurs fournisseurs, les défis du “software-defined vehicle” sont déjà bien présents. Les constructeurs doivent lutter pour mettre la main sur des développeurs aux qualifications techniques avancées afin de relever les défis posés par le logiciel, la cybersécurité et les services connectées. Il y a dix ans, les constructeurs et fournisseurs de rang 1 disposaient de peu de développeurs en interne — c’est en train de changer radicalement. Ces derniers sont devenus indispensables aujourd’hui.
Les logiciels sont au cœur des véhicules que nous conduisons, et qui nous conduiront bientôt, à mesure que les véhicules deviendront de plus en plus connectés, autonomes, partagés et électriques. Dans les prochaines années, les véhicules autonomes traiteront des dizaines de téraoctets de données par jour, recueillies par des capteurs tels que le LIDAR et les caméras. Les clients s’attendent à ce qu’un véhicule propose des fonctionnalités aussi simples à utiliser que celles d’un smartphone. Si l’on ajoute aussi les fonctions de divertissement pour les passagers et les diagnostics à distance, les besoins en logiciels et en puissance de traitement vont croître à un rythme de plus en plus rapide. Les logiciels open-source devraient permettre aux constructeurs automobiles d’accéder plus facilement aux solutions nécessaires pour s’adapter à ces besoins en constante augmentation.
Inévitablement, ces exigences en matière de puissance de traitement obligeront les OEMs à travailler différemment. Actuellement, ils sont contraints de maintenir les systèmes existants tout en développant de nouvelles plateformes. Certains systèmes ne sont pas connectés ou disposaient de services connectés extrêmement basiques. Il est à ce jour difficile de mettre à jour les logiciels embarqués avec les différentes contraintes d’architectures E/E (électrique/électronique) actuelles. Les constructeurs tentent de suivre l’exemple des fabricants de smartphones qui ont dû fournir des mises à jour logicielles applicables à des plateformes et modèles variés. L’exemple le plus parlant est l’iPhone : une mise à jour d’iOS fonctionnera aussi bien sur un nouveau téléphone que sur un appareil d’il y a quatre ans. Un iPhone recevra plusieurs mises à jour durant son cycle de vie, ajoutant de nouvelles fonctionnalités et renforçant la sécurité.
Pour les constructeurs automobiles, ce changement ne sera pas facile, car l’industrie a besoin de méthodes mieux définies pour faciliter l’interface entre les composants physiques et les logiciels. Il est indispensable de reconsidérer la manière dont sont conçus les plateformes hardware et software, de décorréler leurs cycles de développement, ainsi que la manière dont elles interagiront entre elles. Ces défis nécessiteront une nouvelle façon de penser de la part des constructeurs, alors qu’ils évoluent dans un monde dans lequel les cycles de développement sont cruciaux.
D’ici à 2025, le nombre de lignes de code dans une voiture aura doublé par rapport au chiffre actuel de 100 millions de lignes, selon une estimation de Volkswagen — ce qui est déjà plus qu’un avion militaire comme le F-35. Dans les voitures entièrement autonomes, ce chiffre pourrait atteindre un milliard de lignes de code*, selon les analystes. La mise en place de collaborations entre constructeurs et entreprises tech paraît nécessaire pour accélérer le développement des véhicules autonomes. Il y a une accélération de la complexité à gérer, et rien ne laisse présager un ralentissement.
Il n’y a pas que le logiciel qui devient plus complexe, mais aussi le matériel. Les véhicules modernes comptent déjà jusqu’à 150 ECUs (composants électroniques), souvent disséminés dans le véhicule, à proximité des capteurs. Les constructeurs s’orientent vers un modèle dans lequel ces éléments sont combinés et consolidés, reliés par un réseau Ethernet. À mesure que la quantité de données traitées par les véhicules augmente, il est fort probable que la totalité de ces données ne soit pas directement envoyée vers des serveurs cloud. Au contraire, une grande partie sera traitée par le véhicule avant que les éléments clés ne soient téléchargés vers le cloud pour y être traités. Cela dans un but d’optimiser les coûts liés à la consommation de données.
Le besoin de cybersécurité dans les véhicules devient décisif avec l’arrivée des véhicules connectés. En 2015, deux experts en sécurité ont présenté un piratage** pendant lequel ils ont éteint une voiture roulant à 110 km / heure sur une autoroute américaine. Cette démonstration a marqué l’avènement de la voiture piratable, bien que ce phénomène ne soit pas nouveau, les premiers composants électroniques n’avaient pas spécifiquement été pensés pour résister aux cyberattaques. L’industrie automobile est confrontée à une réglementation croissante face à ces menaces. En effet, les gouvernements commencent à réglementer les logiciels dans l’industrie automobile, rendant les constructeurs responsable du niveau de cybersécurité de leurs véhicules.
Pour les constructeurs automobiles, il existe d’importantes questions liées à la sûreté fonctionnelle : ce qui n’est pas surprenant lorsqu’il s’agit d’un appareil qui pèse une tonne ou plus. Cela a un impact direct sur le développement de logiciels, avec des coûts supplémentaires pour tout système ayant un impact sur la sûreté du conducteur ou des passagers. Quoique différente, les constructeurs automobiles pourront s’inspirer de l’industrie aéronautique, dans laquelle les systèmes liés à la sûreté sont rigoureusement séparés de ceux qui ne le sont pas afin de réduire les coûts liés à la conformité. Il est souvent difficile de réutiliser les logiciels existants dans les voitures d’aujourd’hui, car il faut souvent les adapter à une configuration différente de celle pour laquelle ils ont été conçus. Les coûts peuvent augmenter de manière exponentielle. Combien cela coûtera-t-il d’écrire, de mettre en œuvre et de tester 100 millions de lignes de code — ou un milliard ? Tel est le défi auquel les constructeurs sont confrontés. Lorsqu’il s’agit de gérer ces coûts, l’open source deviendra de plus en plus intéressante, permettant de réutiliser les logiciels existants ainsi que de bénéficier de la contribution d’autres entreprises. L’open source offre aux OEMs une solution très attrayante afin de surmonter les obstacles de sûreté de cybersécurité qui se dressent devant eux.
L’open source va libérer la puissance des ambitions de l’industrie automobile, non seulement pour rivaliser avec l’innovation constante d’autres industries, telles que la téléphonie mobile, mais aussi pour les dépasser. En tant qu’utilisateurs, les voitures sont déjà les appareils les plus complexes que nous possédons : elles pourraient être les plus innovantes. La flexibilité et l’évolutivité de l’open source permettront aux constructeurs automobiles de libérer leur imagination et de créer la voiture innovante et logicielle de demain.
Sources
*Goldman Sachs “Software Is Taking Over the Auto Industry”
**Charlie Miller, chercheur en sécurité chez Twitter, et Chris Valasek, directeur de la recherche sur la sécurité des véhicules chez IOActive, ont révélé les failles de sécurité des automobiles en piratant les voitures à distance, contrôlant les différentes commandes des voitures, du volume de la radio aux freins.