“Le manque de cas d’usage peut expliquer la faible utilisation des IA génératives dans les TPE-PME”, selon Elise Tissier, directrice de Bpifrance Le Lab

Elise Tissier
Elise Tissier, Bpifrance

Les dirigeants des petites et moyennes entreprises font un usage très limité des IA génératives (IAG) révèle une étude. Un premier coup de sonde sur le sujet mené par Bpifrance Le Lab.

Selon l’enquête, réalisée fin 2023, seuls 3 % des dirigeants de TPE-PME en font un usage. régulier et 12 % un usage occasionnel. « Cette étude est un premier coup de sonde, car nous n’avons jamais fait d’enquête sur le sujet de l’IA et en particulier des IAG, confie Elise Tissier, directrice de Bpifrance Le Lab, à Solutions Numériques & Cybersécurité. Nous avons profité de notre enquête semestrielle de conjoncture auprès des TPE-PME pour poser des questions spécifiques sur l’utilisation des IAG. Ce qui implique deux choses très importantes. La première est le grand nombre de répondants, plus de 3 000, sur un échantillon extrêmement fiable. La seconde, c’est que, plus que toute autre étude, nous sommes certains que le panel n’est pas biaisé dans la mesure où l’enquête ne portait pas spécifiquement sur des questions d’IAG mais comprenait un lot de questions sur la conjoncture et quelques questions sur l’IAG. Cela laisse penser que les chiffres sont ultrareprésentatifs de la réalité des TPE-PME, car, c’est un phénomène que l’on retrouve sur différentes études, quand on mène une enquête focusée sur un sujet « x » ou « y », forcément, selon l’intérêt des dirigeants, ils vont plus ou moins répondre ».

Peu de cas d’usage en entreprise

L’utilisation des IAG par les dirigeants de TPE-PME est variable selon les secteurs et elle atteint 24 % (régulièrement ou occasionnellement) parmi les dirigeants du secteur des services. Les moins familiers avec les IA génératives sont les dirigeants des secteurs de la construction (4 %) et des transports (5 %), alors que les ceux de l’industrie et du commerce sont proches de la moyenne : ils sont respectivement 12 % et 11 % à les utiliser de manière régulière ou occasionnelle. « Aujourd’hui, l’IAG est un sujet hyper médiatisé mais elle est très utilisée par les particuliers et encore assez peu par les entreprises. Ce manque de cas d’usage peut expliquer la faible utilisation des IAG. Les IA génératives ne sont pas encore intégrées ou très peu dans le quotidien des entreprises et les patrons créent une certaine distance entre ces IA, leur quotidien et celui de leurs salariés », avance Elise Tissier. L’utilisation des IA génératives par les dirigeants de PME est légèrement supérieure à celle des dirigeants de TPE. En particulier, les patrons de PME de plus grande taille (100 à 249 collaborateurs) se démarquent avec un plus grand usage (28%).

Le risque du « shadow IA »

D’après l’étude, près de 6 TPE-PME sur 10 n’utilisent pas les IAG et n’ont aucun projet à moyen terme et 14 % ne comptent pas les utiliser du tout ou en ont interdit l’usage. Parmi tous ces réfractaires, la majorité (plus de 70 %) déclarent ne pas leur trouver d’application au sein de leur entreprise, n’avoir pas approché ces outils ou exploré leurs potentiels. 21% évoquent quant à eux un manque d’expertise et 10 % la crainte d’une mauvaise utilisation par leurs collaborateurs. Il ne faut pas faire fi, à cet égard, d’un « shadow IA », qui peut se développer par endroits. D’autant que, selon une étude Ifop/Talan menée en mai 2023, parmi les 16% des Français déclarant utiliser les IA, 44 % le font dans le cadre professionnel et privé et 68 % déclarent ne pas le dire à leur supérieur… « Ce phénomène ne doit pas être ignoré par les dirigeants, estime Elise Tissier, et ils ont davantage intérêt à poser un cadre à l’usage des IAG en établissant par exemple des « guidelines », en prévoyant des formations et en développant ensuite un ou deux prototypes pour déterminer sur quels métiers ces IA peuvent être utilisées ». Ne pas s’en emparer serait risquer de se mettre en retard par rapport à la concurrence.

Le rôle des fédérations dans l’adoption des IAG

Parmi les rares TPE-PME ayant exploré le potentiel des IAG, les usages restent encore cantonnés aux fonctions supports (veille, communication, marketing) ou à des activités qui ne sont pas dans le cœur de métier des entreprises. Les IAG sont utilisées pour des recherches et de l’analyse de données, mais aussi pour la génération de textes, notamment dans des campagnes de communication, la rédaction de textes légaux ou encore dans l’élaboration de documents administratifs. « Ce sont aujourd’hui les applications les plus évidentes, les plus faciles à mettre en œuvre, dont les coûts sont moindres et le retour sur investissement immédiat », explique Elise Tissier. Seuls quelques entrepreneurs précurseurs commencent à déployer ces outils pour leurs processus cœur de métier, en mettant l’IA générative dans leur « business model », notamment dans le secteur des services. « Il est urgent d’investir dans les compétences, avec plus de formations pour comprendre les IA avec leurs atouts et leurs limites, et pour pouvoir les intégrer à un niveau bien plus élevé dans les bureaux de travail et les business models », souligne-t-elle. C’est là que les fédérations professionnelles semblent avoir un rôle crucial à jouer, les dirigeants de TPE-PME hyper-réfractaires aux IAG ne pouvant a priori être convaincus de leur intérêt que par leurs pairs.

 

Patricia Dreidemy