L’écosystème quantique français, composé de centres de recherche, de startups et de grandes entreprises, est appelé à croître. Majoritairement positionné sur l’informatique quantique, il requiert un niveau d’expertise élevé et recrute des profils très qualifiés et interdisciplinaires.
La rupture technologique d’ampleur que promettent les technologies quantiques d’ici 5 à 10 ans fait du soutien à ce secteur un impératif économique et souverain. Les promesses de ces technologies sont nombreuses : ordinateurs quantiques un milliard de fois plus rapides permettant notamment des outils de simulation et d’optimisation sans précédent pour la chimie, la santé, l’énergie ou encore les transports, capteurs quantiques permettant une navigation sans infrastructure ou des facultés de détection inédites, communications infalsifiables et impossibles à intercepter…
Toutefois, les technologies quantiques représentent aujourd’hui un secteur peu mature technologiquement et commercialement, selon l’étude « Les besoins en compétences, emploi et formation relatifs aux technologies quantiques » publiée en janvier 2024 et réalisée par Kyu associés et le consultant indépendant Olivier Ezratty pour le compte de l’OPIIEC, l’observatoire paritaire des métiers du numérique, de l’ingénierie, du conseil et de l’évènement.
Un marché de 9 Md$ en 2030 ?
Les principaux secteurs potentiellement impactés par ces technologies sont la santé, les biotechnologies, l’énergie, la chimie, la logistique et les transports, la finance, le marketing, la défense, l’aérospatial, le renseignement et l’industrie. Les estimations concernant la taille du marché quantique mondial varient selon les cabinets d’études. Selon ces estimations le marché des technologies quantiques est compris entre 300 et 500 millions de dollars aujourd’hui. Il pourrait atteindre entre 3 et 9 milliards de dollars en 2030.
Informatique, capteurs et communications/cryptographie quantiques
On distingue trois grandes technologies quantiques :
– l’informatique quantique, qui repose sur les ordinateurs quantiques, permet de résoudre des problèmes complexes que des ordinateurs classiques ne pourraient résoudre dans un temps raisonnable
– les capteurs quantiques et la métrologie (la science de la mesure) permettent de réaliser des mesures extrêmement précises
-les communications quantiques et la cryptographie permettent de transférer des informations quantiques et de protéger les échanges.
Toutefois, ces technologies, en particulier l’informatique quantique, dont les promesses sont les plus élevées, sont actuellement immatures sur le plan scientifique et applicatif.
Plus de 100 acteurs dans l’écosystème français
Plus d’une centaine d’acteurs font vivre l’écosystème des technologies quantiques en France.
La recherche est particulièrement dynamique, avec environ 40 laboratoires structurés autour de 5 centres de recherche : le CNRS, qui compte plus de 200 chercheurs sur le quantique, le CEA, l’INRIA (Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique), le CNES et l’ONERA (Office national d’études et de recherches aérospatiales). Le CNRS, le CEA et l’INRIA pilotent la stratégie nationale d’accélération des technologies quantiques lancée en janvier 2021. Environ 80% des plus de 1 000 chercheurs en quantique en France sont concentrés sur les pôles de Paris, Saclay et Grenoble.
L’écosystème privé français se compose à la fois de startups de premier plan (telles que Pasqal, Quandela ou Alice & Bob), majoritairement positionnées sur le développement d’ordinateurs quantiques, et de grandes entreprises du numérique (Capgemini…) qui acculturent les futurs usagers du quantique à ces technologies. Les acteurs français travaillent majoritairement sur l’informatique quantique en amont de la chaîne de valeur, même si certaines grandes entreprises et startups sont positionnées sur les capteurs quantiques (Thales, Muquans…) et les communications quantiques (Orange, CryptoNextSecurity…). Cet écosystème est soutenu par la stratégie quantique nationale lancée en 2018 qui finance le développement de l’ensemble des technologies à hauteur de 1,8 milliard d’euros.
Sur la partie algorithmie et logicielle de l’informatique quantique, certaines entreprises développent des outils et des algorithmes spécifiquement conçus pour les ordinateurs quantiques : startups ColibrITD et Multiverse ainsi que la branche d’Atos Eviden. Une petite dizaine de sociétés se concentrent sur les applications industrielles du quantique, en proposant des solutions pour des domaines tels que la cybersécurité, l’optimisation des chaînes logistiques, la simulation de matériaux ou la recherche pharmaceutique, comme Qubit Pharmaceuticals.
Parmi les entreprises de prestations de service et d’intégration, on retrouve Eviden, OVH Cloud, Capgemini, Accenture, IBM, cette dernière employant plus de 1 000 personnes à travers le monde sur le quantique.
Quelle place pour les acteurs du numérique ?
Les entreprises du numérique se positionnent, comme on vient de le voir, au cœur de la chaîne de valeur dans l’édition de logiciels et l’algorithmie ainsi que dans la conception et la fabrication des équipements quantiques, et en aval dans le développement de solutions et de services ainsi que dans les prestations d’intégration.
Les impacts sur la filière numérique sont également indirects, de trois façons. Des entreprises travaillent au développement de solutions logicielles hybrides et « quantum inspired », associant des algorithmes inspirés des algorithmes utilisés dans le cadre des technologies quantiques à des ordinateurs classiques permettant de simuler le comportement d’ordinateurs quantiques. D’autres s’attellent au développement de la cryptographie post-quantique pour répondre aux risques que représentent les technologies quantiques pour la cybersécurité. Enfin, face à cette nouvelle concurrence des technologies quantiques, les activités du numérique spécialisées dans la conception d’outils d’aide à la décision et dans la conception d’outils fondés sur l’intelligence artificielle cherchent à optimiser leurs algorithmes et à étendre leurs cas d’usage.
3 400 professionnels dans le domaine
L’écosystème français est estimé par l’OPIIEC à environ 3 400 professionnels, essentiellement porté par la recherche fondamentale et appliquée :
– 1 000 chercheurs et 1 000 doctorants
– 1 200 emplois dans les entreprises et startups quantiques : ingénieurs de recherche, de conception et développeurs, qui travaillent sur les prototypes et la fabrication d’équipements quantiques
– 100 emplois dans les entreprises de conseil et d’intégration
– 100 emplois dans les entreprises utilisatrices de technologies quantiques.
900 de ces emplois sont dans la branche BETIC, la branche du numérique, de l’ingénierie, du conseil, des études et de l’événement : 800 dans les entreprises et startups quantiques, et 10 dans les sociétés de conseil et d’intégration.
Plus de 2 000 recrutements d’ici 3 à 5 ans
Le nombre de recrutements pourrait s’élever à près de 2 000 d’ici 3 à 5 ans : Plus de 1 200 recrutements sur les doctorants et postdoc, environ 600 chez les spécialistes de la conception et la fabrication de technologies quantiques et l’algorithmie quantique, plus de 60 recrutements dans les entreprises de conseil et d’intégration, une centaine de recrutements dans les entreprises utilisatrices des technologies quantiques. L’essentiel des recrutements serait tiré par les start-ups et petites entreprises qui bénéficient de financements importants pour soutenir leurs efforts de R&D. Dans la branche BETIC, il y aurait environ 400 recrutements dans les entreprises et startups quantiques, environ 60 recrutements dans les sociétés de conseil et d’intégration.
Des métiers hautement qualifiés, positionnés sur toute la chaîne de valeur
En amont de la chaîne de valeur, on trouve essentiellement des physiciens en physique fondamentale et des chercheurs en technologies quantiques. Les ingénieurs sont davantage positionnés sur la conception et la fabrication des équipements et des technologies habilitantes. Les développeurs et informaticiens sont concentrés sur l’édition de logiciel et l’algorithmie, le développement de solutions et de services et les prestations d’intégration. La création des applications métiers et les prestations de conseil en stratégie demandent des compétences à la croisée des chemins entre l’ingénierie, l’informatique et des compétences sectorielles.
Dans la conception et la fabrication de technologies habilitantes, sont notamment recherchés les ingénieurs développeurs logiciels : ils développent des environnements de simulation informatique quantique et étudient des algorithmes avancés de l’informatique quantique. De formation scientifique supérieure (école d’ingénieur ou doctorat en informatique ou en physique), ils justifient d’un niveau avancé en programmation objet et en scripting, notamment en C++ et Python. Ils ont également un haut niveau en algorithmie et en mathématiques, en particulier en algèbre linéaire.
Les mêmes profils sont recherchés pour la conception et la fabrication d’équipements. Ce sous-secteur réclame également les fonctions suivantes :
– Ingénieur DevOps : : une partie des services mobilisant les technologies quantiques repose sur le cloud, qui fournit un environnement de développement quantique en simulant, avec des ressources IT classiques le comportement de futurs ordinateurs quantiques. Il permet également d’accéder à distance aux ordinateurs quantiques actuellement disponibles. Ce qui nécessite des ingénieurs DevOps, qui introduisent des processus, outils et méthodes pour équilibrer les besoins tout au long du cycle de développement de logiciels, du code et du déploiement, jusqu’à la maintenance et à la mise à jour.
– Product owner cloud services (propres à l’informatique quantique) : ils définissent les interfaces de l’équipe cloud avec d’autres équipes ou partenaires et animent les réunions de l’équipe cloud en utilisant la méthode agile.
L’édition logicielle est également en recherche d’ingénieurs DevOps et d’ingénieurs développeurs logiciels, tout comme les entreprises de développement de solutions et de services et de prestations d’intégration. Ces dernières recrutent aussi :
-des architectes de systèmes quantiques et classiques : notamment pour les infrastructures de calcul haute performance, pour le cloud (comme OVHcloud) et pour le on-premise (entreprises utilisatrices des technologies quantiques, notamment dans les secteurs sensibles de la défense et de l’aérospatial).
– des experts sectoriels et spécialistes métiers : en général des consultants, ils des solutions et prestations d’intégration requérant des compétences en algorithmie et en informatique quantique et conseillent les entreprises sur les domaines d’application envisageables et le développement de cas d’usage.
– experts quantiques : ils forment et conseillent les entreprises dans l’élaboration de leurs stratégies d’innovation autour des technologies quantiques. Ils apportent une vision scientifique, technologique et marketing.
Enfin, les cabinets de conseil en stratégie développent aujourd’hui de petites équipes de consultants dédiées à l’application des technologies quantiques : on y retrouve des experts sectoriels et quantiques.
Quelques dizaines de formations existent pour développer les compétences liées au quantique, formations dont nous parlons dans un second article.