Paradoxe, la COP 21 a fait le choix de l’imprimé pour les documents échangés entre les participants. Faute de goût ou analyse raisonnée de l’impact environnemental de la communication sur l’événement ? Points de vus croisés de Riso, Ricoh et Antalis, tous trois retenus par les organisateurs de la conférence mondiale sur le climat pour l’impression de ses documents.
A l’issue de la COP 21, plus de trois millions de pages auront été imprimées et plus de 80 imprimantes de bureau auront tourné à plein régime dans les bureaux des négociateurs. Une telle consommation de papier lors d’une conférence consacrée aux enjeux climatiques peut surprendre. « Il ne faut pas se laisser emporter par les idées reçues », argumente Caroline Garadier, responsable communication chez RISO FRANCE et membre d’XPlor, l’un des deux fabricants d’imprimantes retenus, avec Ricoh, pour équiper la COP 21. Et de citer les chiffres d’une enquête de l’ADEME réalisée en 2011 et qui tend à remettre en cause le sacro-saint dogme de l’éco-compatibilité intrinsèque du numérique. Selon cette étude, l’envoi d’une facture électronique coûterait 15 fois plus en émissions de gaz à effet de serre que son équivalent imprimé industriellement et routé. Papier ou numérique ? Selon l’ADEME, tout dépend de l’utilisation. Si l’on doit passer plus de trois minutes à lire un document, mieux vaut l’imprimer plutôt que de le consulter sur écran suggère l’agence environnementale. Voilà qui expliquerait le choix des organisateurs de la COP 21 de recourir au papier là où l’on aurait pu s’attendre à voir privilégier le numérique pour « sauver les forêts ». Les organisateurs de la COP préfèrent sans doute les chiffres aux slogans. Même l’argument du sauvetage des forêts ne résiste pas longtemps à l’analyse. Selon Greenpeace (2009), le papier ne jouerait que pour moins de 1% un rôle, et encore en raison des coupes illégales, dans la déforestation mondiale, bien loin derrière l’élevage (79,5%). « En Europe, 99% du papier utilisé provient de forêts européennes gérées durablement, insiste Déborah Dorosz, ambassadrice développement durable du leader européen de la distribution de papier, Antalis, membre d’XPlor. Pour elle, les idées reçues qui continuent de circuler sur le papier ont surtout pour fonction de faire avancer le numérique, ou plus exactement d’encourager à la consommation dans ce secteur. « Il est vrai que le papier a perdu de sa valeur pendant ces trente dernières années car il était utilisé à tort et à travers. Mais il ne faut pas basculer dans l’extrême inverse et se contenter de faire du papier un bouc émissaire », poursuit Deborah Dorosz pour qui les bénéfices à long terme pour l’environnement s’effacent encore trop souvent devant des logiques à cour terme de réduction des coûts, lorsqu’ils ne sont pas tout simplement transférés sur le client final. Bien souvent en effet, c’est sous forme papier que le particulier conserve les documents reçus par voie numérique de sa banque ou de son opérateur de téléphonie.
Pertinence et personnalisation
« La technologie à elle seule n’apportera aucune réponse », tranche Jean-Pierre Blanger, directeur marketing et communication de RICOH FRANCE, membre d’XPlor. Selon lui, le développement durable passe autant par une utilisation raisonnée du papier que par celle, tout aussi responsable du numérique. Et s’il faut comptabiliser l’impact sur les émissions de gaz à effet de serre de la communication papier des entreprises, il convient aussi de s’intéresser aux conséquences en termes de consommation d’énergie et de matériels du stockage en double, triple, sinon plus, des emails, documents, images, etc…, dans le cloud. Reste à définir les termes « utilisation raisonnée » d’une manière qui les rendent applicables autant aux stratégies papier que numérique. La réponse serait bien plus simple et bien plus opérationnelle qu’on ne veut le dire : « l’enjeu numéro un pour les entreprises, c’est de communiquer efficacement, c’est à dire d’envoyer le bon message, au bon moment et de la bonne manière », poursuit Jean-Pierre Blanger. Quand les enjeux de la relation client rencontrent ceux de la préservation de l’environnement… Pour le directeur marketing de Ricoh, développement durable et personnalisation sont non seulement compatibles, « ils vont naturellement de pair ». C’est ce qui explique que de grandes entreprises, souvent soumises à de fortes contraintes en matière de développement durable, commencent à revenir du tout numérique. Le papier, dans certaines situations ou pour certains secteurs d’industrie, reste beaucoup plus convaincant et donc plus efficace qu’un email. Mais pour communiquer de manière éco-responsable, il faut aller un cran plus loin. « Un premier moyen de traiter l’empreinte carbone d’une communication, c’est d’assurer la traçabilité du message envoyé. Il faut fermer la boucle de communication client et passer du multicanal unilatéral à une approche crossmedia qui permette de comprendre comment la réception est appréciée », poursuit Jean-Pierre Blanger.
Sortir de la logique du moins disant
Utilisation raisonnée contre idées reçues et postures, comme celle d’un zéro papier ouvertement critiqué, notamment dans l’enseignement. « Les vertus pédagogiques du document papier sont indéniables, surtout quand la technologie d’impression permet d’y ajouter la couleur sans surcoût et avec une consommation d’énergie très faible », insiste Caroline Garadier de RISO FRANCE. Les papetiers et les constructeurs d’imprimantes veulent convaincre qu’ils ne sont pas restés les bras ballants face aux enjeux environnementaux. « Il y a beaucoup de désinformation sur ce sujet », dénonce Deborah Dorosz. Dans la pratique, cependant, les démarches se mettent en place, principalement dans les grandes entreprises, et souvent à l’initiative des fournisseurs eux-mêmes. L’un des premiers enjeux tient naturellement au choix du papier. En la matière, les entreprises sont souvent prêtes à payer un peu plus cher pour marquer leur contribution citoyenne à la préservation de l’environnement. « Le développement durable conduit à sortir de la logique du moins disant. Les grandes entreprises les premières ont pris conscience de leur responsabilité et de la nécessité de remettre, dans ce domaine également, la valeur humaine au centre de leurs préoccupations », analyse Jean-Pierre Blanger. La démarche, explique-t-on chez Antalis, est souvent initiée par le marketing. « Une part de nos clients accepte de payer plus cher du papier recyclé de très haute qualité et ajoutent un logo pour que leur choix ne passe pas inaperçu, tandis que d’autres optent pour un papier visiblement recyclé », raconte Deborah Dorosz. Un premier pas qui est souvent suivi, dans ces grandes entreprises, par une remise à plat de l’ensemble de la chaîne de production documentaire afin de l’aligner sur les principes de développement durable. « Le papier propre issu de forêts certifiées ou recyclées n’est qu’un des éléments à prendre en compte dans la stratégie », confirme-t-on chez Ricoh. Il conviendrait aussi de s’intéresser à l’impact environnemental de la fabrication des équipements et de leur transport, à celui de sa consommation électrique en exploitation et en veille, et enfin aux conséquences sur l’environnement de la technique d’encre utilisée, jusqu’au mode de transport utilisé pour la livraison des cartouches et à la proximité géographique du fournisseur de papier.
Innover, au-delà des idées reçues
Aligner la communication d’entreprise sur le développement durable passe aussi par la capacité à faire évoluer les usages. Chez Ricoh, plusieurs outils sont mis à la disposition des entreprises, depuis le lecteur de badge qui oblige l’utilisateur à venir confirmer sur l’imprimante sa demande d’impression et limite donc les gâchis, jusqu’à un pilote d’impression éco-compatible conçu pour limiter l’impression de pages presque vides. Même approche chez RISO, dont le pilote d’impression intègre plusieurs éco-fonctionnalités telles que la possibilité d’imprimer plusieurs écrans sur une même page. Chez les uns et les autres, et les papetiers ne sont pas en reste, des calculateurs en ligne ou intégrés à l’écran de contrôle des imprimantes permettent de mesurer qui, l’empreinte carbone pour une qualité de papier donnée, qui les conséquences sur l’environnement de la décision d’imprimer un document en recto ou recto/verso. Des outils qui seraient autant d’appels à l’innovation. « Le numérique n’a pas le monopole de l’innovation », insiste Deborah Dorosz avant de retracer l’évolution des technologies de retraitement du papier, qui le rend désormais réutilisable jusqu’à 5 ou 7 fois. Même conviction chez Ricoh où l’on évoque les nouvelles encres en gel ou liquide réduisant la consommation d’énergie, ou encore la « refabrication » des imprimantes. « Nous redonnons une seconde vie à nos imprimantes en les remettant complètement à neuf selon des critères très stricts de réutilisation des composants », résume Jean-Pierre Blanger. Un programme qui constitue, selon lui, un bon exemple de ce qu’apporte au bout du compte, une véritable réflexion sur les enjeux de développement durable de la communication client, au delà du tout ou rien et d’une vision dogmatique d’un futur entièrement numérique dominé par quelques grands acteurs d’Internet.