Economie, conformité et unification des données sont trois enjeux qui devraient pousser les entreprises à se préoccuper davantage des documents postés chaque jour par leurs différents services.
L'appellation «courrier égrené» désigne le flux de courriers unitaires générés au fil de l'eau et qui échappe à une production centralisée et automatisée. L'envoi de documents créés par les collaborateurs de l'entreprise dans le cadre de leurs différentes activités ne fait pas toujours l'objet d'un processus d'automatisation et d'industrialisation. «Réaliser un courrier égrené consiste à rédiger un document Word, l'imprimer, le récupérer, le faire éventuellement valider par un supérieur hiérarchique, le plier, le placer dans une enveloppe puis le déposer dans une bannette pour qu'il soit timbré et expédié», rappelle Jean-Michel Berard, le PDG d'Esker. Les solutions de gestion de courrier égrené sont chargées de massifier le traitement de ces courriers afin de faire baisser leurs coûts d'exploitation tout en permettant de contrôler leur contenu. Le marché se caractérise par une logique de retour sur investissement basé sur l'optimisation des tarifs d'affranchissement et l'amélioration de la productivité. Au-delà des services dédiés au courrier, les applications renforcent la gestion de la relation client, en s'inscrivant dans un processus global de diffusion d'informations multicanal. Prendre en compte le courrier égrené devient si stratégique pour certaines grandes entreprises que celles-ci lui ont dédié une ressource en interne, souvent celle qui est chargée d'orchestrer la politique documentaire. Pourtant, ces organisations sont encore trop rares estiment les spécialistes et une majorité d'entre elles ne gèrent pas ou très mal leur courrier égrené. Pour les mêmes raisons économiques, stratégiques et organisationnelles, les processus de courriers égrenés concernent les PME et les petites organisations, d'autant plus que les outils de gestion documentaire ont atteint un degré de maturité satisfaisant.
Capturer et qualifier le courrier
Les offres du marché s'attachent à établir puis rationaliser le traitement du courrier, avec des solutions logicielles destinées à capturer et qualifier les données. Depuis une application bureautique, la capture passe par une impression virtuelle du document puis un dépôt local ou distant vers une plateforme SaaS ou un spool externalisé. Conservé sous sa forme dématérialisée, le courrier est ensuite qualifié. Une phase pendant laquelle on renseigne des critères qui déterminent la nature des données et la chaîne de traitement qui en découle. Il ne s'agit pas seulement de notifier que le document doit être imprimé en couleur ou en monochrome, ou que le recto verso est nécessaire, il faut aussi préciser certaines opérations. Par exemple, si l'envoi doit être effectué en recommandé ou en mode rapide, si une mise sous pli dans un type d'enveloppe particulier est requise. Autant de traitements qui s'avèrent fastidieux, chronophages et sujets à des erreurs s'ils sont réalisés à la main, mais que les solutions dédiées prennent aujourd'hui en charge. Elles sont d'ailleurs capables d'analyser et d'identifier très finement le contenu du courrier capturé. Des technologies de classification savent reconnaître automatiquement le type de chaque document afin de remplacer le tri manuel. Un courrier de type mise en contentieux, par exemple, émis par le service contentieux sera forcément traité en recommandé.
Eligibilité industrielle
La capture conduit en outre à extraire, vérifier et valider les métadonnées. L'intégralité de chaque courrier étant lue automatiquement, l'objectif est de permettre une indexation des documents et de soumettre les données à des règles préétablies. A ce stade, la gestion du courrier ne diffère pas de celle de tout autre document numérisé car, avant d'être matérialisées, les données sont conservées pour alimenter des silos d'informations et des applications métier à travers un workflow optimisé. Du CRM à l'ECM en passant par l'ERP et les outils d'éditique, toutes les applications transverses de l'entreprise sont amenées à manipuler des données issues du courrier.
Mais comme ces documents sont dans un premier temps destinés à quitter l'entreprise, ils nécessitent un traitement particulier, au moins pour les rendre éligibles au courrier industriel. A la différence du trafic postal égrené, coûteux à collecter et à traiter en masse, l'intérêt du courrier industriel est de pouvoir créer des économies d'échelle et de faire baisser les tarifs. «La première motivation des entreprises est d'ordre économique et en massifiant le courrier égrené, on le rend éligible à des tarifs plus abordables», confirme Éric Blat, directeur marketing et alliances de Numen. Concrètement, l'opération devient intéressante lorsque l'envoi concerne au moins 1000 plis dont l'homogénéité (même destination, poids, format, etc.) optimisera le routage. «Un tarif rapide à l'unité envoyé par la poste coûte 0,61 euro. En courrier industriel, avec le même délai d'acheminement et la même qualité de service, on peut atteindre 0,42 euro, soit une économie de près du tiers du prix de l'affranchissement. Et lorsqu'on sait que 90 % du coût d'un pli correspond à l'affranchissement, l'économie est plutôt spectaculaire», détaille Éric Blat. L'étape d'éligibilité passe également par un prétraitement postal portant sur une mise en conformité graphique : une adresse à replacer à la bonne taille et au bon endroit du pli, des polices de caractères adaptées, une disposition générale les outils fournis règlent les détails qui permettent d'obtenir une image «propre» à transférer au format attendu par un ou plusieurs référentiels d'automatisation.
On-premises, SaaS ou hybride
Dans les grandes entreprises, ces opérations sont souvent assurées par des centres de reproduction et d'éditique. Les documents sont ensuite aiguillés vers des salles de courrier spécialisées dans la synchronisation des flux numériques et des flux physiques. Là, on édite, imprime, met sous pli puis fait parvenir aux services postaux le courrier. Mais pour une majorité d'organisations, de telles infrastructures n'existent pas. Lorsqu'il est capturé, le courrier est alors confié à un prestataire externe, propriétaire d'une «document factory», une usine capable de traiter du courrier en masse, de façon industrielle. Dans cette approche, capture et production peuvent être parfaitement dissociées, la capture étant réalisée à partir d'un logiciel fourni sous licence ou via le Cloud ou encore à travers un mode mettant en jeu les deux offres.
«Plus une entreprise est importante, plus elle aura les moyens, les infrastructures et les équipes nécessaires pour pouvoir administrer elle-même la solution de gestion de courrier égrené et s'orientera alors vers un modèle de licence et de maintenance hébergé sur ses propres serveurs, alors qu'une organisation plus modeste en termes de moyens choisira le mode locatif ou SaaS ou un mode hybride comprenant un ticket d'entrée de droit d'usage et une redevance mensuelle», explique Jean-Philippe Khristy, directeur du pôle relation clients et développement commercial Europe du Sud de Sefas.
Avec le Cloud, l'externalisation assouplit la gestion du courrier égrené en diminuant considérablement les investissements et en offrant à une plus grande frange d'entreprises un accès aux ressources. Mais le SaaS n'est pas forcément adapté à toutes les situations : «Tant que les fichiers sont au format PDF par exemple, une plateforme n'a a priori aucun problème de traitement mais quelquefois, des données issues d'applications métier, ont du mal à être reconnues par de telles solutions», explique Bruno Ragus, directeur commercial chez Data Syscom. «A ce poids technique, s'ajoute un poids social : une solution SaaS est synonyme d'externalisation totale avec à la clé de possibles pertes d'emploi en interne».
Au-delà de la composition de documents de gestion (bons de commande, factures, paiements, relevés de compte, etc.), c'est la mutualisation de l'impression et de la mise sous pli qui permet aux prestataires de séduire des clients dont le flux de courrier varie de quelques dizaines à quelques centaines de lettres. «Nous massifions l'ensemble des flux de nos clients, quel que soit le volume unitaire de chacun d'entre eux et cette massification nous permet de garantir un coût d'affranchissement industriel réparti sur l'ensemble des dépôts journaliers», explique Valérie Caudroy, directrice déléguée chez Tessi Document Services. «Couplé à un module de capture de courrier égrené, un logiciel de gestion de flux éditique nous permet de gérer les plis qui n'ont plus comme caractéristique un client mais une gamme d'affranchissement, une priorité ou un poids, puis de faire un dépôt Poste sur l'ensemble de cette tranche».
La logique du ROI
De tels services fédèrent des centaines voire des milliers d'entreprises à partir du même backoffice. Les traitements sont orientés par lots vers différentes unités de production. Celle, par exemple, qui se charge d'imprimer en continu sur du papier blanc tous les éléments des courriers, des fonds de page au texte en passant par les logos. Un code-barres apposé sur chaque document identifie le courrier afin de le tracer et de fournir à son expéditeur toutes les informations de suivi. Placées dans leur enveloppe par des systèmes automatisés puis remises aux services de l'opérateur national, les lettres n'ont plus qu'à être acheminées vers leur destinataire. L'économie est réelle dans le cadre du traitement du pli comme dans celui du coût d'affranchissement. Les gains sont mesurables immédiatement lorsque la solution offre un traitement à l'unité, comme c'est le cas pour certaines offres SaaS. Mais le retour sur investissement s'effectue plutôt dans les trois mois selon les volumétries.
«La massification est un axe purement technologique qui fait sens car il apporte un ROI rapide mais c'est rarement l'objectif principal que nous avons constaté sur les projets de courrier égrené», souligne, Philippe Rouas, directeur EMEA de Cincom. «L'objectif principal c'est plutôt l'amélioration de la relation client au sens large. Cela concerne la qualité de l'image de marque véhiculée par l'entreprise sur des documents dont la diffusion est désormais multicanal. Certes, on peut tout massifier, mais il est important aussi de savoir quand envoyer le courrier par voie électronique plutôt que postale».
Le courrier égrené intègre aujourd'hui l'ensemble des flux sortants multicanaux de l'entreprise. Il n'est donc pas étonnant de voir les professionnels de l'éditique se positionner sur ce créneau. Des emails au fax en passant par le courrier dématérialisé et le SMS, tous les documents qui nécessitent une personnalisation poussée et une traçabilité sont concernés, tous les moyens de diffusion peuvent être sollicités car l'information est désormais dissociée de son support. Quel que soit le canal emprunté par les documents, les solutions de gestion du courrier égrené fournissent des moyens de contrôle et validation avant envoi. «Les paramètres et les règles de gestion définis au niveau du modèle ou fournis par l'application métier appelante permettent de contrôler les canaux disponibles pour la diffusion et peut en imposer certains. Il est par exemple possible d'automatiser l'archivage en GED et d'imposer un canal d'impression pour certains modèles», explique Philippe Rouas. Ce n'est plus le document arrivé à destination qui seul compte, mais une information diffusée selon des modalités choisies et donc une complétude de traitement de chaîne.
Mémoire et conformité
En plus d'un mode de diffusion en cascade, qui assure le passage d'un canal à un autre lorsqu'il faut pallier une défaillance technique ou tout simplement doubler les envois, la solution est censée offrir une traçabilité de l'ensemble des événements. Non seulement une offre de gestion de courrier égrené doit permettre de capter et de produire industriellement le courrier mais elle doit prendre en compte la conservation et la restitution des documents dont certains ont une valeur probatoire. Il ne s'agit ni plus ni moins que d'identifier un courrier important et engageant pour l'entreprise et de le placer dans un circuit qui alimente un SAE ou un coffre-fort électronique. «En tant qu'éditeur de logiciel, nous ne gérons pas directement les aspects sécurité et traçabilité qui sont du ressort des différents outils d'archivage et des tiers de confiance, mais nous proposons en revanche un workflow de gestion de ces courriers à valeur probatoire, que nous mettons à disposition de n'importe quel type de filière de sortie, qu'il s'agisse d'imprimer et de mettre sous pli un document, d'envoyer un email ou d'archiver», précise Jean-Philippe Khristy. Lorsqu'un client recherche un service complet qui lui fournira gestion du courrier et archivage légal, les prestataires n'hésitent pas à faire jouer les différentes expertises qu'ils sont capables de vendre ou se tournent vers des filiales ou des partenaires lorsque ces expertises font défaut.
Pour accompagner les principales étapes du cycle de vie d'un document, les solutions s'appuient sur une interface de gestion qui se veut la moins intrusive et la plus transparente possible pour les opérateurs et les utilisateurs. Il est primordial de ne pas entraver la réactivité de l'entreprise sur le plan de sa relation client tout en normalisant et en simplifiant les procédures liées à la gestion du courrier, reconnaissent les acteurs de ce marché. En jeu, l'adhésion des collaborateurs et la réussite d'une incontournable conduite du changement. Ces approches sont d'autant plus importantes que l'usage généralisé d'outils bureautiques a favorisé la disparition de tâches qu'il faut bien continuer d'assurer ou de transposer, notamment tout le travail d'enregistrement, de sauvegarde, de stockage et d'archivage réalisé physiquement par des personnes en charge de la gestion du courrier. Mais la production des courriers égrenés n'est plus le fait des seuls outils bureautiques, de plus en plus d'applications métier sont capables de générer à la volée toutes sortes de documents, dont certains concernent la relation client. «Aujourd'hui les gens produisent leur courrier à partir de leur poste, ce qui a pour effet d'éclater la mémoire de l'entreprise si aucune solution n'est mise en place. L'enjeu, c'est finalement de réunifier et de retracer les courriers produits individuellement et ainsi de conserver cette mémoire», souligne Eric Blat. Conséquence d'une production sauvage de courrier, l'absence de contrôle sur le contenant (respect de la charte graphique de l'entreprise) autant que sur le contenu (message, pièces jointes, conditions générales de vente, etc.). Des correspondances qui n'incluent pas le bon logo de l'entreprise aux messages sensibles véhiculant des données stratégiques, l'effet peut être désastreux sur l'image de marque d'une organisation ou sa sécurité. C'est pourquoi la plupart des solutions présentent des procédures de validation du courrier, paramétrables et adaptées à différentes contraintes d'activité ou de spécificités métier. «Lorsque l'on édite un document, les outils nécessaires pour faire fonctionner une chaîne de validation interne, et quelquefois un processus de signature, sont primordiaux», souligne Valérie Caudroy. «Ensuite, doit prévaloir une logique de conservation des documents entrants, circulants et sortants à travers un socle commun mis à disposition de toute l'entreprise».
A quoi sert le courrier ?
Les échanges qu'une entreprise entretient avec ses clients, ses fournisseurs, ses partenaires reposent de plus en plus sur des documents multiformes, physiques ou numériques, passant d'un état à l'autre au gré des nécessités organisationnelles. Le courrier égrené n'est, quant à lui, qu'une partie de ce qu'on dénomme courrier hybride : papier, e-mail, formulaire, sans compter l'inoxydable fax, les supports de communication sont variés mais les données qu'ils véhiculent sont à fédérer et conserver. Déterminer à quoi sert le courrier envoyé aide à structurer les grandes lignes des projets. Bien des prestataires possèdent les ressources d'audit pour fournir des réponses adaptées aux activités de chaque client, mais mieux vaut pour une direction générale être au fait des objectifs visés par les courriers qui sortent de son entreprise. Qu'il s'agisse de fidéliser les contacts et de s'assurer de la satisfaction des clients, d'accompagner les partenaires, l'enjeu du courrier n'est pas le même. Mais à l'heure du marketing relationnel, les moyens de satisfaire et de conserver des clients ne changent fondamentalement pas. Tout le travail des prestataires spécialistes du courrier égrené est de parvenir à intercaler leurs solutions entre les technologies de la gestion des processus de la relation client et celles de la gestion documentaire. De briques techniques en modules applicatifs, leurs offres sont de plus en plus élaborées et sécurisées. Elles garantissent ROI et productivité et jouent désormais sur la corde du développement durable en martelant que la diffusion dématérialisée contribue à diminuer la charge d'impression et la consommation de papier. Un paradoxe, comme le monde IT sait régulièrement en créer : «on constate en 2013 que 5% seulement des factures sont dématérialisées et même si les émetteurs de factures proposent à leurs clients un format électronique, ces clients sont réticents et préfèrent encore le papier», rappelle Jean-Michel Berard.