Plusieurs professionnels français de la tech ont récemment débattu des enjeux du green IT et du numérique responsable dans le cadre du club de la presse informatique B2B. Et fait émerger la question de la tech verte dans le recrutement et la formation. Synthèse.
« Quand nous recrutons, nous avons toujours des questions sur nos impacts environnementaux, explique Philippe Charpentier, directeur technique chez NetApp, entreprise américaine qui conçoit des solutions matérielles et logicielles de stockage de données et cloud. Comme les métiers sont tendus, la non-prise en compte de cet enjeu serait un frein à recruter les meilleures personnes. »
Changer les modèles d’achat et de consommation
Les mauvaises pratiques sont encore nombreuses, témoigne le panel, ce qui révèle un manque de prise de conscience et/ou de formation à ces enjeux. Gabriel Ferreira est directeur technique chez Pure Storage, qui offre des solutions de stockage de données flash : « Nos produits sont écoconçus pour qu’ils soient plus durables, que leur cycle d’utilisation soit allongé et qu’ils consomment au plus juste. Malheureusement, les clients ont tendance à faire du surprovisionnement de matériel. C’est une hérésie financière, environnementale, et technologique puisque les technologies évoluent vite. » Laetitia Cousi, ESG Customer engagement director, marchés internationaux chez Dell Technologies, confirme : « 30% de nos clients font du surprovisionnement, c’est-à-dire qu’ils surdimensionnent leurs besoins « au cas où ». » Pour Christophe Bardy, senior system engineer Enterprise Account chez Nutanix : « Il faut changer les modèles d’achat et de consommation des équipements informatiques. »
Or, les enjeux sont importants pour la planète mais aussi en termes de modèle économique. Prenons l’exemple des postes de travail. « Il faut savoir que le premier poste de consommation d’énergie dans de nombreuses entreprises, ce sont les PC et les écrans, avec de plus en plus de doubles écrans, fait remarquer Laurence Jumeaux, responsable de l’offre numérique responsable chez Capgemini Invent, l’entité de conseil, de transformation et d’innovation digitale de Capgemini. Chez Cap Gemini par exemple, cela représente 73 % de l’empreinte du numérique, un tiers pour l’usage, le reste dans la prise en compte de la fabrication et du cycle de vie des machines. » Ainsi, la gestion de la chaîne d’approvisionnement des PC et autres équipements doit s’affiner, prenant en compte l’achat, la maintenance et la logistique retour. Le modèle de cycle de vie du matériel doit s’allonger, de 5 à 10-15 ans, en jouant sur l’évolutivité et la réparabilité des équipements, et la fin de l’obsolescence programmée.
De nouveaux postes « verts » mais peu de formation
Certes, les postes de responsable green IT et de directeur du numérique responsable se développent. Louis-Marie Le Leuch, directeur énergie et carbone chez Digital Realty, entreprise américaine de services de datacenters en colocation, remarque : « Les responsables green IT ont des demandes de plus en plus pressantes en termes d’impacts et de management des serveurs. En datacenter, les enjeux sont la consommation électrique et l’efficacité énergétique. » Les grandes entreprises sont de plus en plus nombreuses à créer le poste de directeur du numérique responsable au sein des DSI, selon Mme Jumeaux : « Toutefois, elles promeuvent habituellement en interne une personne motivée de la DSI. Celle-ci ne maîtrise en général pas les compétences nécessaires. Le poste demande une montée en compétences très forte. Et le reste de la DSI a encore moins les connaissances. Or que l’on soit responsable infrastructure, données, product owner, architecte ou développeur il y a des bonnes pratiques et des règles et normes à connaître et maîtriser, par exemple l’écoconception des logiciels. »
Le numérique responsable ne se décrète pas, il s’apprend
Laurence Jumeaux donne des cours à l’EPITA sur le numérique responsable pour que les prochains professionnels de la Tech aient conscience des enjeux. Et CapGemini Invent a développé une offre de sensibilisation, notamment à l’écoconception, pour changer la culture numérique des DSI et des métiers. Le groupe CapGemini a commencé par ses propres troupes. Depuis deux ans, les 30 000 salariés de CapGemini sont formés au numérique responsable. Aujourd’hui 10 e-learning développés à l’origine pour eux sont ouverts aux clients du groupe. Mme Jumeaux a également conçu et animé la partie numérique responsable d’une formation à la RSE pour Crédit Agricole Assurances. Mais c’était une sensibilisation, elle ne durait que 2 heures. D’après elle, qui a réalisé un benchmark des offres de sensibilisation et de formation cette année, « aujourd’hui, il existe des offres de sensibilisation au numérique responsable, mais pas vraiment de formations approfondies. Or il faudrait un parcours de changement sur la responsabilité environnementale par profil, en commençant par le top management pour ensuite avoir les budgets pour les autres : le management de la DSI pour diffuser les bonnes pratiques et réaliser des calculs d’impact, puis les équipes Tech (développement, architecture, data…). Il faut également sensibiliser les utilisateurs pour qu’ils réduisent leur empreinte. Il ne faut pas oublier les acheteurs : certes ils posent des questions dans les appels d’offre et demandent des éléments dans le cahier des charges, les clauses RSE représentant jusqu’à 10 à 20 % de la note finale à l’appel d’offres. Mais de facto ils sont bien souvent incapables d’analyser ou de challenger les réponses. »
La direction exécutive et la DSI doivent suivre des indicateurs clefs, indispensables à la prise de décision. Les secteurs moteur en termes de numérique responsable sont ceux qui ont une empreinte environnementale de leur IT importante, comme le secteur de la tech ou les services bancaires.