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Fraude documentaire et identités fictives : comment lutter ?

Jean-Pierre Raysz
Jean-Pierre Raysz, Jouve

En France, selon une note du ministère de l’Economie et des Finances, entre 3 et 6% des 10 millions de documents d’identité émis tous les ans par l’état (passeport ou cartes nationales d’identité) seraient frauduleux et établis sur la base de faux documents. Comment maîtriser les moyens de prévention et de détection de la fraude ? Jean-Pierre Raysz, directeur  Recherche et Féveloppement du Groupe Jouve, apporte des réponses.

50 % des fraudes documentaires sont liées à l’utilisation d’identités fictives, 30% sont des usurpations d’identité, 20 % des substitutions (on « loue » sa carte vitale ou sa carte d’identité). En France, les forces de l’ordre confisquent environ 10 000 fausses pièces d’identité par an, ces chiffres fluctuant à la hausse ou à la baisse. Il est actuellement difficile de déterminer si une baisse des saisies correspond à une baisse réelle du nombre de faux documents en circulation ou à une meilleure qualité de production de ces faux documents, ce qui les rendrait plus difficile à détecter. Selon le Reso-Club [1], le préjudice de la  fraude documentaire  en France est aujourd’hui estimé à 20 milliards d’euros dont 17 milliards au seul détriment de l’Unedic. Ces chiffres confirment que nous sommes confrontés à un phénomène de masse, qui a des répercussions sur l’ensemble de notre écosystème : l’entreprise, le citoyen et l’Etat.

Il existe des solutions efficaces mais elles ont un coût…

Des experts du contrôle documentaire sont aujourd’hui capables de détecter tous les faux documents existants. Ils s’appuient sur une solide connaissance des sécurités documentaires, une maîtrise des techniques utilisées par les faussaires ainsi que sur des outils reconnus (compte fil, loupe binoculaire, éclairage spécifique). Chacun de ces experts peut traiter en moyenne 200 documents par an, ce qui correspond à un coût de revient de l’ordre de 1000 € par contrôle. Au vu de cet impact financier, on imagine aisément que ces moyens ne peuvent être mis en œuvre que pour des usages ciblés : enjeux financiers importants, procédures judiciaires, etc.

Comment lutter contre la fraude documentaire quand le niveau de risque ne justifie pas un contrôle aussi onéreux ?

Si des solutions techniques existent, elles sont rarement déployées. La cryptographie apporte par exemple des solutions simples et quasiment infalsifiables. Ainsi, un simple code à barres 2D peut suffire pour certifier la validité d’un document et des informations qu’il contient. Cette solution peut régler toutes les questions d’usurpation d’adresse. Si plusieurs grands “producteurs” de justificatifs de domicile ont annoncé qu’ils intègreraient cette technologie dans leurs factures, seul un opérateur de téléphonie l’a déployée à ce jour.
La France est également l’un des rares pays à ne pas proposer de référentiel des cartes d’identités. Dans la plupart des pays d’Europe, vous pouvez saisir sur un site dédié le numéro d’une carte d’identité. Grâce aux informations qui figurent sur le document, le système en ligne vous indique s’il s’agit d’un document authentique. En 2013, la délégation nationale à la lutte contre la fraude prévoyait également la généralisation de cette solution pour 2014 et la mise en place d’un dispositif Checkdoc de contrôle en ligne de la validité des pièces d’identité pour le début de l’année 2015. Nous en sommes encore loin…
Même si le certificat numérique personnel est un dispositif de cryptographie très performant qui  permettrait à son détenteur de prouver son identité, de signer électroniquement des documents ou encore de crypter des échanges de données, son utilité en termes de lutte contre la fraude documentaire dépend directement de la sécurité de sa procédure de délivrance.

En attendant que des solutions performantes soient déployées à grande échelle, il existe néanmoins des solutions pragmatiques pour répondre aux enjeux de la fraude documentaire :

– l’utilisation des sécurités existantes telles que les sécurités visuelles : zones MRZ valides par exemple (bande d’information codée que l’on trouve au bas de nos cartes nationales d’identité, permis de conduire, passeports, titres de séjour et autres cartes grises et qui comporte des clés de contrôle). Si le contrôle de validité des zones MRZ n’assure pas un niveau de sécurité très élevé, c’est déjà un début.

– la détection des doublons. Dans certaines fraudes documentaires, une même facture EDF peut être utilisée plusieurs dizaines de fois avec des « habillages » différents. Un réseau d’alerte est aujourd’hui capable de détecter ces doublons et de les signaler aux préfectures. Cette détection pourrait être systématisée et mise à disposition de toutes les personnes concernées.

– le contrôle de cohérence. S’assurer que l’ensemble des pièces qui composent un dossier sont bien cohérentes entre elles permet de renforcer le niveau de sécurité d’un dossier. Les contrôles de cohérence permettent aujourd’hui d’accélérer les processus d’acceptation des dossiers, d’optimiser les taux de transformation et d’augmenter la productivité des entreprises. Ainsi, si la simple détection des zones MRZ  permet de réduire les risques de fraude documentaire de 70 %, le contrôle de cohérence de l’ensemble d’un dossier va contribuer à augmenter considérablement ce pourcentage.
S’il n’existe pas de solution en ligne pour vérifier la validité d’une pièce d’identité française, cette base existe néanmoins pour les comptes en banque. On peut ainsi vérifier si les coordonnées bancaires fournies par un utilisateur correspondent à la bonne identité.

Enfin, d’autres sécurités plus difficiles à contrefaire mais aussi à contrôler seront prochainement opérationnelles. Nous ne les détaillerons pas dans cet article afin d’éviter que les faussaires puissent anticiper leur arrivée mais elles sont prometteuses.

En conclusion, les services de l’Etat et les entreprises sont confrontés au problème de la fraude documentaire qui est en croissance continue et leur coûte cher. Tous ces acteurs devraient y faire face et mutualiser leurs investissements pour garantir rapidement des contrôles fiables et cohérents.

 

[1] Association créée en 2009 dont le principal objectif est de rassembler tous les acteurs économiques confrontés aux enjeux de la criminalité financière et identitaire