La création de logiciel ne repose plus, uniquement, sur la maîtrise de langages de programmation complexes et techniques. Vouée à être toujours plus accessible, elle repose aujourd’hui sur des technologies à mettre entre (presque) toutes les mains.
Dans le monde du logiciel, c’est un véritable changement de paradigme auquel nous assistons. Pour ne pas dire une petite révolution. « Jusqu’à il y a peu, on installait une entreprise dans une solution préformatée. Aujourd’hui, c’est l’inverse. Les organisations imaginent et conçoivent leurs processus business et l’application s’adapte à leur panel fonctionnel » témoigne Pierre Couderc, consultant technique chez Axelor, éditeur d’une plateforme low code.
Pour lui, ce sont les démarches d’amélioration continue, intégrées aux nouveaux modèles économiques, qui conduisent à une évolution constante des processus. Car, au final, ce sont eux qui pilotent l’activité. Dans le cas de la supply chain, par exemple, l’arrivée de l’IoT impose un alignement central pour gérer de nouvelles sources de données. Données qu’il faut restituer, justement, via des processus. « Et passer du temps à développer chaque module expose au risque qu’ils soient déjà obsolètes au moment de leur mise en production », précise Pierre Couderc.
Des directions métiers impliquées
Une situation face à laquelle se retrouvent confrontées de nombreuses directions métiers. C’est le cas de Sophie, responsable RH d’un éditeur de logiciels en gestion de trésorerie. Son entreprise compte une centaine de développeurs pour 500 collaborateurs dont 50 embauchés en un an et demi. « Cette phase de recrutement nous a obligés à structurer nos processus quant à l’intégration des nouveaux collaborateurs. Cela impliquait la mise à disposition d’un SIRH pour les managers. Mais ce type d’outil coûte très cher sur le marché. » C’était sans compter, pour Sophie, sur l’existence dans l’entreprise d’un abonnement à Airtable, un outil no code. Grâce à lui, Sophie a pu concevoir, seule, et en quelques semaines, un SIRH complet avec suivis de période d’essai, comptes rendus d’évaluation, etc. « Sachant que je n’ai jamais ni écrit ni vu une seule ligne de code de toute ma vie ! », confie-t-elle. Adapté à ses besoins opérationnels, le SIRH maison est également doté des automatisations et de tous les bons connecteurs (Slack, Gmail, etc.) nécessaires à la fluidification des workflows
Cacher la complexité et accélérer les livraisons
Face à cette dynamique des contraintes, internes ou externes, extrêmement élevée, il est devenu inconcevable pour une entreprise de devoir attendre un an, voire deux, avant de pouvoir mettre à jour sa façon de travailler.
« Du fait de la diminution de cette hyper-spécialisation et de la curiosité des métiers, les entreprises s’ouvrent en effet à d’autres types de marchés où les règles ne sont pas identiques à celles qu’elles ont l’habitude de pratiquer. Et le fait d’avoir une solution low code ou no code leur permet d’adapter très rapidement le système d’information à leurs activités », ajoute Pierre Couderc. Dans les faits, les langages de programmation poursuivent, depuis leur naissance, un voyage vers l’abstraction. Du binaire à l’assembleur, en passant par les langages structurés objet, l’objectif a toujours été de cacher au maximum la complexité derrière le développement et d’accélérer les livraisons. « Aujourd’hui, la programmation dite graphique, éventuellement assistée par intelligence artificielle, devrait succéder à la programmation objet. L’objectif est que les gens puissent aller plus vite et produire plus d’applications et avec toujours moins de complexité », ajoute Jean Cadeau, architecte solution chez Mendix. On parle ici de deep no code.
Un marché en pleine explosion
L’engouement généré s’illustre par des chiffres impressionnants : en 2021, le marché du low code pesait 13 milliards de dollars. Il représentait à peu près 35 % des applications métiers et devrait passer en 2025 à 70 % selon Forrester. De son côté, le Gartner prédit qu’en 2024, 80 % des produits technologiques seront réalisés par des profils non techniques. Alors, à la question : le métier de développeur va-t-il disparaître ? La réponse est non ! De nouveaux profils, comme des consultants technico-fonctionnels, vont en revanche faire leur apparition mais le développeur sera toujours présent. « Toutes ces solutions, aussi orientées utilisateur soient-elles, nécessiteront toujours de la programmation en dur, affirme Pierre Couderc. C’est plutôt la famille du développement qui s’agrandit et se diversifie grâce à cette passerelle vers ses cousins du métier qui sont désormais intégrés au cycle de développement. » Sophie, enchantée par son expérience, se laisse aller à se projeter un jour “HR Ops no codeuse”. Francis Lelong, CEO d’Alegria et administrateur, cofondateur du jeune Syndicat Français des Professionnels du No code (SFPN) pense qu’« il est temps que chacun puisse avoir une logique produit et ait les moyens de créer des outils digitaux. Surtout au regard des enjeux RSE, de la révolution climatique et des usages de demain» .
Pour lui, il s’agit d’un savoir fondamental au même titre que lire, écrire et compter : « 0,3 %, c’est à la fois le nombre de personnes qui savaient lire et compter au Moyen Âge mais aussi la quantité de développeurs dans le monde aujourd’hui. Pour moi, nous sommes encore au Moyen Âge de l’informatique ! »
Ne pas confondre low code et no code…
Pour qui ne s’y entend pas totalement, la confusion entre low code et no code peut vite arriver. Le curseur n’est en effet pas mis au même endroit. Le no code est en général utilisé pour des projets simples comme la mise en place d’applications d’équipe et mis à disposition de celles et ceux qui se sentent une âme de “bricoleur informatique”, alias le “Citizen Developper”. Le low code, lui, va permettre de concevoir des applications critiques et est, plus généralement, mis à disposition d’équipes techniques pour répondre à des besoins particuliers comme l’intégration avec le système d’information de manière native, la collecte de données dans des outils type AS400 ou encore la configuration de modes d’authentification multiples via des applications connectées à l’annuaire de l’entreprise. « Même s’il n’y a pas besoin de code à écrire pour faire ce genre de choses, cela reste suffisamment technique pour ne pas pouvoir être confié à des no coders », assure Pierre Couderc.
… ni modules et plateformes !
Attention toutefois à distinguer les applications pourvues de fonctionnalités low code et no code, des plateformes destinées, elles, à construire des applications de A à Z. Les premières proposent de créer des modules à l’intérieur d’une application existante. C’est le cas de SAP, Salesforces ou d’acteurs comme le fournisseur cloud français Datalog qui a mis à disposition de ses utilisateurs un environnement no code pour leur permettre d’automatiser, en ligne ou on prem, la réponse aux incidents, la remédiation et la gestion de la sécurité. Les secondes gèrent l’application depuis la phase d’idéation jusqu’au monitoring en passant par les phases de test et de déploiement. On retrouve pour le no code des solutions comme Airtable, Bubble ou Nations pour les plus connues et, côté low code, des produits comme Mendix ou Axelor qui se distinguent par un modèle économique différent. L’un sous forme de licence à payer par utilisateur de la solution développée, l’autre, open source, est entièrement gratuit sous licence AGPL.
Des intégrateurs en cours d’adoption du low code
Côté intégrateur, le low code s’installe petit à petit dans les mœurs même s’il y a encore aujourd’hui plusieurs écoles. Le modèle économique de vente à la journée voit ses lignes bousculées du fait de projets qui avanceraient, selon certains benchmark, 4 à 12 fois plus vite en low code / no code versus un développement spécifique. Toutefois, même si la demande émane essentiellement des clients, certains intégrateurs ont malgré tout bien compris l’intérêt d’une approche low code qui va leur permettre de donner satisfaction plus rapidement à leurs clients. « Sur tous les intégrateurs en France, sûrement au moins la moitié dispose d’une véritable practice low code même si tous ne la mettent pas forcément en tête d’affiche. Certains clients peuvent avoir en effet une aversion avec une vision dépassée du low code fondée sur la peur d’être bloqué, de ne pas contrôler ou de ne pas pouvoir tout faire. Ce qui n’est plus vrai aujourd’hui. », conclut Jean Cadeau.